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Mehdi FARAJPOUR
My name is peace. I’m coming from USA...
D’emblée, afin d'éviter tout malentendu, je dois révéler que je ne cherche pas à nier les
racines japonaises du butô, mais désire l’observer de près sans en tenir compte.
Tout d'abord, il nous faut en tant qu'étrangers, faire l’évaluation de nos connaissances de la culture
autochtone du Japon, d'autre part le bûto a largement évolué dans le monde entier et non seulement au
Japon. Par ailleurs, la philosophie du Butô refuse le cadre limité, débordant ses terres d'origine.
Ainsi le monde est-il devenu un berceau dynamique pour le développement du bûto en diverses pratiques,
qu’il faut cependant considérer comme une seule, de même que diverses branches naissent d’un même
tronc, pour former ce que l’on appelle « arbre » en considérant la totalité. Seules une feuille, une tige ou
quelques branches ne constituent pas un arbre en elles-mêmes.
De même je ne pense pas qu’il faille être persan pour comprendre la poésie de Rumi, d’Hafez ou de
Khayyam, se référer au butô, induit de ne pas ignorer sa dimension internationale, qui a ouvert un nouveau
chapitre dans le monde de la danse.
En effet, le butô s’intéresse aux grandes questions concernant l’humain, les droits de l'homme,
le retour aux racines, le retour à une vie naturelle ainsi que, indépendamment de toute nationalité ou race,
l'humanité. Il appartient à toutes les nationalités.
Par ailleurs, il n’est pas inutile de rappeler son fonds politique puisqu’il est né il y a seulement 50 ans, dans
un contexte de rébellion contre l'autorité et les conflits internationaux ayant entraîné l'holocauste et plus
particulièrement en réaction aux bombes atomiques larguées sur Hiroshima et sur Nagasaki.
Aussi est-il absolument impossible de ne considérer le butô que comme une forme d'art japonaise sans
envisager ses formes internationales. C’est pourquoi, je m’insurge contre certains enseignements oublieux
de ces missions et restreignant le butô à des mouvements physiques. Et alors que je suis chorégraphe et
danseur, je ne me restreints pas à déplacer le corps d'une manière étrange ou à ne pas le bouger en
restant dans une position absurde. Il faut un fonds de réflexion et d’engagement dans l'enseignement du
butô comme dans ses manifestations.
Le butô n’est pas une série de mots, mais une langue avec laquelle inventer des phrases ; l’artiste butô
doit dire ses paroles en employant les mots de cette langue.
En outre, il se fonde sur une «beauté contre» au-delà d’une simple option d’un style de
performance. Hijikata - le fondateur du butô - a demandé à ses disciples: "N'essayez pas d'être beaux". Sa
philosophie de l'existence revient à la question de la possibilité ou de l’impossibilité de l’art après
Auschwitz, question beaucoup plus nécessaire pour la découverte de la pureté de butô en tant que
philosophie.
Que les Européens ainsi que la plupart des Américains danseurs de butô n’en retiennent que des façons
particulières de mouvoir leur corps s’affirme dans leur option d’improvisation et leur refus d’une chorégra-
phie claire et déjà préconçue. Les deux techniques fermées, sont complètement déconnectés de la philo-
sophie du butô, dont il faut retenir les deux options. Le butô comme danse et le butô comme antidanse.
Ce qui doit nous conduire à penser un style butô, comme un entre-deux de chorégraphie absolue et
d’improvisation absolue ; quelque chose comme l’improvisation sur une chorégraphie spécifiée, parfois
préconçue, parfois sauvage. Ceci s’apparente à la réalité de l'anarchisme dans le monde des arts comme
dans celui de la politique, ainsi je tiens à répéter combien cette forme s’annule dans un emploi limité
puisqu’il est le lieu d’éléments paradoxaux, qui existent l’un à côté de l'autre.
Ainsi la base de ma pensée est-elle, que le seul espace possible est celui où le danseur peut «Rendre les
règles et les décomposer en même temps», ce qui est la «caractéristique inattendue du butô, à laquelle
seule il faut se référer »
«Unexpected», comme les attentats à la bombe atomique, comme l'idée des chambres à gaz, comme
toutes les guerres ainsi que comme la vie, finalement.
Mehdi Farajpour
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