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Lin HTET
Sans titre
« Les vases communiquant de la présence humaine »
Un homme se présente à nous, il s’assied devant une petite table, au plus proche dans la gran-
de cour déjà obscurcie par la nuit, et de son aiguille, il entreprend de coudre un bon morceau de viande
disposé sur une table. Le geste est lent et précis, on voit très bien le fil entrer et sortir de la chair. L’homme
procède en nous fixant de son regard. Dans le blanc des yeux, comme s’il voulait nous hypnotiser et nous
faire oublier que des gouttelettes de sang lui éclaboussent dans les mains, au fur et à mesure que l’aiguille
transperce les vaisseaux sanguins de cette barbaque. Cependant qu’une douce musique accompagne
cette séance de couture si je puis dire… un morceau mélancolique, porteuse d’une agonie insupportable-
ment lente. Sous le feu de la censure, on brûle à petit feu mais pas tout-à-fait…
Et puis tout s’arrête. Le fil est coupé de l’aiguille et les sutures cessent. A à ce stade, pourtant,
nous n’en sommes plus à espérer une meilleure suite puisque le pire a été commis… L’homme se met
debout, devant ce morceau de viande. Il lève ses mains pour les tendre au-dessus, et successivement, il
renverse sur un bras une carafe de vin et sur le second une carafe de lait. Par cet acte, l’homme devient
tous les hommes et endosse sous nos yeux toute la culpabilité et l’innocence du monde. Le mal et le bien
coulent / souillent en même temps ses bras, dans le rappel de l’entropie de nos faits humains. En un
équilibre si fragile, car à la fin, ces vases communiquant s’écoulent et dégoulinent sur nos restes : des
viandes mortes perforées de partout !
Cependant, l’homme redevient, versant de l’eau d’une troisième carafe, il se lave les mains de
toute la bonté et de l’horreur commises. Il quitte la table des opérations pour se glisser dans le public et
l’inviter à se tenir par la main et ainsi former une chaîne humaine. Cette réunion, ainsi constituée,
l’homme projette sur un mur la vidéo dérisoire d’un groupe fêtant Noel en chanson, le “Happy New Year”
qui scande ses performances. En opposition forte avec la dureté de ce que nous venions de vivre, nous
nous retrouvions comme une grande fratrie unie et joyeuse autour de la scène macabre…
Cet homme, assumé par Lin Htet, quitte l’audience et nous laisse plantés là devant le constat
d’une de nos vanités.
Kamil Guenatri - La Terrasse
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