Page 108 - catalogue_2013
P. 108
Arnaud GERBER
Wir Sind Karneval / Nous sommes Carnaval
Une ville allemande.
Ses chantiers.
Ses paysages industriels.
Son carnaval.
Et un clown nietzschéen.
Dieu est mort à Cologne.
Nous l’avons tué.
Vous et moi.
Un requiem.
Même sans connaître la langue, entendre en allemand : “Gott ist tot” se traduit quasi simultané-
ment “Dieu est mort” tant cet apophtegme et le nom de son énonciateur participent de la pensée
occidentale. Friedrich Nietzsche le lance trois fois dans Le Gai Savoir, aphorismes 108 : “Luttes nouvelles”,
343 “Notre gaieté” et 125 “L’insensé” qui fonde le contrepoint de ce film-pensant. Certes, on le rapporte
surtout à Ainsi parlait Zarathoustra qui par ailleurs, réclamait un “dieu qui sache danser”.
Le film en super 8 se lance un défi, celui de joindre la pensée philosophique, celle en parole
poétique du Gai Savoir, à la poétique de l’image, en jouxtant, transformant, perturbant la ressemblance
iconique avec la manifestation que le film annonce. La perturbation se double parce qu’en envers iconique,
une jeune femme occupe le champ. Elle s’accentue parce qu’en montage parallèle deux domaines de
sens, deux mondes liés/déliés sémantiquement - le déguisement en clown - et vocalement - l’aphorisme
philosophique - s’entrechoquent.
En réponse au pacte lancé par le titre, le défilé du carnaval comme les régions du Nord de la
France, de la Belgique, de l’Allemagne… aiment les organiser et qui occupe la population dans son entier;
il occupe le champ d’abord simplement en images documentaires. Quant à la voix, opératique, belle et
posée, elle ouvre un tout autre champ et interloque puisque d’emblée, elle énonce et jusqu’à son terme,
l’aphorisme de “L’insensé” nietzschéen. Voix acousmatique, elle poursuit son texte alors que le carnaval se
fait et se défait, elle dit au bar et sur les tambours, elle dit lorsque des plans de travaux et d’usines se
décrivent, elle dit sur le paysage depuis un train, elle dit sur le nettoyage et le nivelage des trottoirs, elle dit
sur des paysages enneigés, elle se tait lorsque le plan se consacre à la jeune fille au comportement en
désaccord et avec le monde filmé et avec le texte dit. En effet, elle trace d’un gros crayon de maquillage
blanc, une croix sur son front, avant, par courts voire très brefs plans, de se maquiller en clown - lors des
quinze premières minutes et de se démaquiller pour le second versant du temps du film.
Cela s’apparente à une liturgie, des bougies blanches basses et deux plus grandes entourent un
vase ciboire d’où la jeune femme/l’officiante élève ainsi une hostie, un grand cercle qui s’avère le miroir,
aide nécessaire à son maquillage précis et codé. Hors de cette tâche, elle tient le regard net en effet
d’appel hors cadre… qui l’investit, dès lors, de la voix qui se fait, ici et là, plus incisive.
La description du carnaval reçoit une même détermination descriptive avant de perdre en
iconicité ce qu’il gagne en vertige et en plasticité : des ralentis devancent de très gros plans d’un œil, de
visages ; ils passent au flou les instruments à percussion. Ces tambours récurrents ne sont pas avec leurs
sons, les cris ne sont pas avec les mouvements de joie.
Installations / Expositions - Histoire(s) 109