Page 71 - catalogue_2013
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Nenad BOGDANOVIC
HD_Man History / Unknown Heart
Sur le parvis, devant le cinéma UGC, une étrange silhouette bouge, au ras du sol, vêtue de ces
combinaisons qu’endossent les peintres de murs d’appartement, mais c’est la nuit. L’homme porte sur le
front ce que l’on est obligé de reconnaître comme un disque dur, attaché sommairement par des élastiques;
la technologie associée au bricolage.
Autour de lui, d’un côté, l’étonnement parfois troué par des formules cachant l’inquiétude de ne pas
comprendre par la boutade, de l’autre, un public se forme, plus compact, dont parfois une personne parle
à l’autre qu’elle ne connaît pas ou peut-être pas. La situation entraîne le contact. Le comportement
inattendu de l’homme fait s’arrêter malgré le froid or cette attente est récompensée car l’homme après
s’être penché jusqu’au sol, tend un papier à celui qui ose s’en emparer.
Sans paroles, ni musique, accompagné par le son urbain de fin de journée, assourdi par la pénombre,
l’homme se dresse sur ses genoux et presse successivement des tubes de peinture – rouge, vert, jeune,
noir et bleu - contre le métal du disque avant de le presser contre une feuille format domestique, A4.
Parfois, de la pâte coule sur son nez, sur son épaule, sans qu’il s’en émeuve. Selon qu’il appuie plus ou
moins et sur le tube et/ou sur le papier, il provoque des figures abstraites, plus ou moins épaisses, plus ou
moins drues, et ce, sans qu’une quelconque mimique les commente.
L’homme Nenad Bogdanovic sourit seulement en tendant son cadeau, qui frissonne sous le léger vent.
Le disque dur n’est plus le médium d’une écriture virtuelle mais il devient le support tangible de
matériau tangible. Outil/médium, il participe à sa pose, à son écrasement ou à sa dépose, coulées ou
masses, pointillés ou envahissement, superposition ou étalement.
Cependant, le désir de récupérer une feuille peinte - c’était à qui en “attraperait” une, en devançant son
voisin auprès du performer - se concluait le plus souvent par la recherche d’une image ; le spectateur
cherchait à reconnaître “son” image.
On peut, en effet, s’approcher d’une première lecture de ce à quoi participe cette performance. Feuille
après feuille, elle répète l'abandon du projet de la mimesis, délégué au long de l’histoire à la peinture, le
projet d’une nécessaire représentation de la réalité. En donnant envie de regarder la résultante fortement
liée à son matériau, à son geste, elle rejoint les actions-painting.
Nenad Bogdanovic n’y amorce, en effet, pas une nième déconstruction de la peinture, il
performe cette production qui, au-delà d’une peinture objectivée, engage totalement son corps, l’engage
très personnellement puisqu’il faut lire le texte imprimé sur le papier.
“Ma performance HD Man History relève du très personnel. En effet, je suis né un 24 décembre, le même
jour, à une année près en 1956 de l’invention du disque dur, et m’est venue l’idée de réunir les deux, ma
propre naissance et celle du disque dur…”
Détaché apparemment, il actue là une part de son histoire personnelle, HD Man History,
l’homme du titre, c’est lui, commente–t-il plus tard, pour une coïncidence de dates de naissance, non pas
celle d’un Dieu mais celle de l’élément central de l’ordinateur, HD/hard drive.
Cependant Nenad Bogdanovic ne cherche pas à faire œuvre d’historien, il sait que le tout premier disque
dur, le RAMAC, fabriqué par IBM, plus machine que disque, n’offrait qu'une capacité de 5 Mo, alors
qu’elle pesait plus d'une tonne. Au contraire, il ôte de cet outil son coefficient informatique et refuse totale-
ment le high tech, puisque si sa peinture se fait sans la main, elle refuse tout autant le calcul numérique.
L’homme qui partage la date anniversaire du hard drive, n’est pas un homme machiné. Il garde la
souplesse du projet humain… jusque dans les taches et les tâches. Il y réunit certaines inquiétudes de la
perte du contact par la machine, de l’enlèvement du corps tangible dans les conjonctions informatiques.
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