Page 68 - catalogue_2013
P. 68
Traverse continue...
La plasticité du dessin vibre et déplace les lieux. Ainsi s’alternent les scènes du voyage actuel
avec rails et paysage derrière les vitres, et celles du tumulte maritime contre lequel la légère barque à voile
du Grec n’en peut mais ; et ce jusqu’à la fusion, alors ce sont des vagues qui se jettent derrière la fenêtre
du train, alors l’emporte sur tout autre motivation, le désir de retrouver l’autre parti, au risque de sa vie
d’humaine. Le même visage pour les deux femmes, elles ne font plus qu’une prise dans l’amour :
lorsqu’une mouette la survole, “elle” n’hésite pas à se jeter du haut de la falaise. Un texte se superpose au
paysage, il ôte toute idée négative car le verbe ne dénote pas la résultante, la mort, mais celui de quitter
le sol, puisqu’il porte la femme vers le haut : “elle s’élance”. Son envolée suit un changement de tonalité
de la musique, l’instrument à vent, adopte les aigus d’un air japonisant… l’ailleurs celui d’au-delà du monde
est aussi celui d’autres sonorités.
Et elle devient mouette pour l’accompagner- en occident, des contes de la mer, reconnaissent dans cet
oiseau ou autre goéland, les âmes des marins morts par naufrage. Le passage n’est aucunement marqué
du deuil, il emporte vers un statut d’être à un autre, cela sur le vecteur amoureux. En osmose délicate, le
passage de la prise de vue - la jeune femme dans son wagon lisant une édition de poche – au dessin sur
papier - susceptible de la transformation au gré de la main - et sa transformation numérique - en être
virtuel portée par ce plaisir amoureux de l’animation est une variante contemporaine des lointaines
Métamorphoses. Simone Dompeyre
Antoine MOREAU, Personne ne voit, 5'48, 2012, France
Sur l’air “Nobody knows” occupant pleinement l’espace vidéographique, se
précise en effet que “Personne ne voit” la chaise vide pourtant placée là où
elle ne sert de rien, au sens de l’utilitaire quotidien. Pourtant cela s’avère un
lieu d'exposition, visité et le plus souvent par des jeunes personnes, venues
là, en groupe, parfois en couple, et une fois avec enfant visiblement dans la
vacance d’une après-midi d’automne.
Ils entrent pour le plus fréquemment sortir aussitôt, rien de spectaculaire y compris dans le hors champ et
pas d’interrogation sur cet objet, personne n’y risque un œil. Certes la chaise ne clame ni le design ni un
style Louis et quelque… En bois et assise de velours vert, elle peut appartenir à l’ameublement empire revu
et corrigé et sans grande recherche. En incrustation dans le champ, un texte énumère des manquements
parallèles à ceux que le chœur scande, pour exemple : “personne ne sent ce qui se trame/personne ne
sent la réelle présence de ce qui est là”.
Mais si la chaise n’est pas utile c’est qu’elle est indispensable pour une leçon d’histoire des arts, écho de
ready-made duchampien, et comme appel à apprendre à voir, appel à interroger sur qui décide de l’artis-
tique. L’œil de ceux-là était visiblement endormi, mais qui le leur reprocherait, pas la vidéo qui préfère
exclure du champ les visages. D.S
Raphaël SEVET, L'Odeur des bêtes, 7'20, 2008, 16mm, France
…Un homme et une femme se saisissent,
Se projettent, se retiennent ;
Sur eux l’ombre portée de notre regard.
Pliés l’un dans l’autre
chacun de leurs mouvements plie le film
Qui danse lui aussi, s’abîme…
Damien Marguet
68 Cinéma expérimental, art vidéo, monobandes - Histoire(s)