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Traverse continue...

La plasticité du dessin vibre et déplace les lieux. Ainsi s’alternent les scènes du voyage actuel

avec rails et paysage derrière les vitres, et celles du tumulte maritime contre lequel la légère barque à voile

du Grec n’en peut mais ; et ce jusqu’à la fusion, alors ce sont des vagues qui se jettent derrière la fenêtre

du train, alors l’emporte sur tout autre motivation, le désir de retrouver l’autre parti, au risque de sa vie

d’humaine. Le même visage pour les deux femmes, elles ne font plus qu’une prise dans l’amour :

lorsqu’une mouette la survole, “elle” n’hésite pas à se jeter du haut de la falaise. Un texte se superpose au

paysage, il ôte toute idée négative car le verbe ne dénote pas la résultante, la mort, mais celui de quitter

le sol, puisqu’il porte la femme vers le haut : “elle s’élance”. Son envolée suit un changement de tonalité

de la musique, l’instrument à vent, adopte les aigus d’un air japonisant… l’ailleurs celui d’au-delà du monde

est aussi celui d’autres sonorités.

Et elle devient mouette pour l’accompagner- en occident, des contes de la mer, reconnaissent dans cet

oiseau ou autre goéland, les âmes des marins morts par naufrage. Le passage n’est aucunement marqué

du deuil, il emporte vers un statut d’être à un autre, cela sur le vecteur amoureux. En osmose délicate, le

passage de la prise de vue - la jeune femme dans son wagon lisant une édition de poche – au dessin sur

papier - susceptible de la transformation au gré de la main - et sa transformation numérique - en être

virtuel portée par ce plaisir amoureux de l’animation est une variante contemporaine des lointaines

Métamorphoses.                                                              Simone Dompeyre

                               Antoine MOREAU, Personne ne voit, 5'48, 2012, France

                               Sur l’air “Nobody knows” occupant pleinement l’espace vidéographique, se

                               précise en effet que “Personne ne voit” la chaise vide pourtant placée là où

                               elle ne sert de rien, au sens de l’utilitaire quotidien. Pourtant cela s’avère un

                               lieu d'exposition, visité et le plus souvent par des jeunes personnes, venues

                               là, en groupe, parfois en couple, et une fois avec enfant visiblement dans la

                               vacance d’une après-midi d’automne.

Ils entrent pour le plus fréquemment sortir aussitôt, rien de spectaculaire y compris dans le hors champ et

pas d’interrogation sur cet objet, personne n’y risque un œil. Certes la chaise ne clame ni le design ni un

style Louis et quelque… En bois et assise de velours vert, elle peut appartenir à l’ameublement empire revu

et corrigé et sans grande recherche. En incrustation dans le champ, un texte énumère des manquements

parallèles à ceux que le chœur scande, pour exemple : “personne ne sent ce qui se trame/personne ne

sent la réelle présence de ce qui est là”.

Mais si la chaise n’est pas utile c’est qu’elle est indispensable pour une leçon d’histoire des arts, écho de

ready-made duchampien, et comme appel à apprendre à voir, appel à interroger sur qui décide de l’artis-

tique. L’œil de ceux-là était visiblement endormi, mais qui le leur reprocherait, pas la vidéo qui préfère

exclure du champ les visages.                                                        D.S

                Raphaël SEVET, L'Odeur des bêtes, 7'20, 2008, 16mm, France
                …Un homme et une femme se saisissent,
                Se projettent, se retiennent ;
                Sur eux l’ombre portée de notre regard.
                Pliés l’un dans l’autre
                chacun de leurs mouvements plie le film
                Qui danse lui aussi, s’abîme…

                                                                            Damien Marguet

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