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Traverse continue...
Brahim FRITAH, Une si belle inquiétude, 12', 2012, France
“L’Ange est là, à côté des étoiles, je l’entends faire éclater les yeux de mon
bonheur… À cette époque des prophètes en tout genre annonçaient un
miracle… Puis la lumière fut…”
Au cœur d’un montage de photographies témoins de dix-sept années de
déambulations à travers divers pays, se glissent des images de l’installation
Weather Project de Oliafur Eliasson où un grand soleil artificiel domine une
salle au haut plafond. Seul élément non documentaire de cette suite, Weather Project importe l’onirisme
dans Une si belle inquiétude, dont l’univers hybride confronte ses images à des vers abrupts, brefs,
prononcés en off, qui osent la phrase nominale.
Une foule contemplant visiblement une éclipse – deux cercles noir et blanc brandis au-dessus
d’elle – attendrait selon la même voix off, le miracle annoncé par des “prophètes en tout genre”.
À la “La lumière fut” des silhouettes allongées sur le sol remplacent ces premiers spectateurs souriants,
avant qu’une respiration d’abord haletante, puis sifflante s’atténue enfin. Les mots renversent l’espérance
puisque le peuple est dit aspiré “dans un sarcophage”, ainsi le soleil est-il accusé d’emprisonner voire
d’arrêter la vie, alors des “sentinelles” en faction, visage maquillé, et costumés pour un carnaval asiatique
seraient une cause de ce que serait “l’inquiétude” du titre tout en engageant les codes de l’anticipation.
De brefs et ardents mouvements entraînent un dépassement de la simple succession d’immobi-
lités photographiques, en accord avec le tempo rapide du montage son, fait de brouhahas de voix et de
percussions. Ces éléments sonores prolongent la portée documentaire des photographies en constituant
une couleur réaliste ainsi que les “mouvements de sons” qui s’y produisent en oubliant la donnée fictive.
Cependant la multiplicité des climats et des paysages importe plus que la situation géographique,
de même que la musicalité des langues prime sur le sens, puisque l’univers très partiellement défini par la
voix off réunit cultures et lieux dont la dénomination est tue mais que l’on reconnaît comme le Maroc, la
France ou plus largement l’Asie alors que des enfants chuchotent et chantent français, peu audibles.
Pourtant la virtualité des photographies dépasse le sens littéral et provoque alternativement des
idées d’accalmie comme de bousculement. Une accalmie première succède au soleil écrasant de lueurs
rouges, inducteur de crainte et d’incertitude, alors se mêlent paysages ruraux et clairières françaises mais
aussi déserts marocains, sous la sonorité tranquille d’une fontaine. De brefs déferlements de lumière et de
flous suggèrent non plus l’angoisse mais l’agitation festive, les feux d’artifices. La mélodie à la guitare, lente
voire nostalgique, adoucit pareillement l’ampleur de ces bousculades ou bien des manifestants brandissant
des pancartes rageuses ou écrivant des slogans haineux sur une statue comme “fuck lepen” sont effacés
par une foule immobile réunie pour une prière publique. Le recadrage d’un homme priant en plans de plus
en plus rapprochés, donne comme issue contre de telles perturbations, la méditation mais le font plus
encore l’espace marin et la fuite d’un enfant.
Une mouette, ailes étendues, survole la mer, simultanément à la dénomination “les enfants du
rêve” pour que se double sa quiétude aux pensées heureuses connotées par la figure de l’enfant. Et si, dès
l’incipit, une voix enfantine a dit des vers devant des photographies de chatons endormis, en cette pause
marine, le grand saut d’enfants alterne avec le plan de l’oiseau prenant son envol. L’enfant devient ange.
Ce motif animalier se reprend en explicit pour dire les mots du titre comme conclusion d’une légende
signifiant les désirs de l’enfant, alors celui-ci part vers l’horizon entraînant avec lui une adolescente. Cette
si belle inquiétude, très loin d’être provoquée par des perturbations urbaines ou des menaces solaires
inconnues, naîtrait de l’amour, que l’on aurait toujours peur de perdre.
Vincent Berranger, Greta audiovisuel du Lycée des Arènes
Cinéma expérimental, art vidéo, monobandes - Histoire(s) 69