Page 73 - catalogue_2013

Nenad BOGDANOVIC

HD_Man History / Unknown Heart

Cela la seconde performance Unknown Heart/Coeur inconnu, le regrette dans un autre geste tout
aussi significatif, celui du passage d’un petit cœur de tissu de la main de Nenad à celle de spectateurs.
Ainsi il pose son corps ; sa présence transforme le lieu de passage en lieu de production, de relations
humaines. Le corps catalyse un moment.
Dans HD_Man History, la peinture est vecteur de ces rencontres. Le corps les a créées, l’une pour l’autre,
en restant dans l’éphémère du dire, pas de signature, un papier léger mais qui impliquerait celui qui a pris
ce que donnait la main, car la peinture coulait, imprégnait les doigts, salissait les mains. Temporelle la
réunion a eu lieu, cela a fait tissu.

“La seconde performance Unknown Heart/Coeur inconnu continue mon cycle de performances
concernant l’amour. Je veux y décrire une situation de notre époque moderne où la technologie affecte nos
relations personnelles alors que les hommes malheureusement s’éloignent les uns des autres. Et la
technologie aggrave cela de plus en plus, comme ma propre expérience me l’a prouvé et ce sont ces sen-
sations que je voudrais transmettre à ceux qui regardent ma performance. Je pense y être parvenu par le
retour que j’ai perçu d’un public très attentif qui semble avoir partagé ce que je vivais.”

Une bassine haute contient de l’eau chaude – selon la fumée et puisque le savon fond si vite.
Le performer alternativement prend de la couleur rouge d’un tube, par un petit pinceau et trace LOVE sur
un savon, et passe celui-ci ainsi tâché sur son visage. Le long d’une musique en boucle, il trace et
macule son visage. Le savon ayant diminué, Nenad plonge soudainement dans un grand bruit d’eau sa
tête dans le bac, jusqu’à trouver un petit objet. Il se lève et en guise de communion au sens d’échange fort
d’un groupe, d’un échange qui fonde un groupe, il fait toucher ce qui s’avère le petit cœur.
Ce dernier moment déborde l’histoire intime de l’amour brisé, voire de la douleur de la maladie… il réveille
le souvenir de l’Histoire récente, en appelant l’image du sang versé par des membres du même groupe
originel avant la guerre fratricide… et dès lors, le passage du cœur blessé cherche à refermer le cercle par
l’affectif… atténuement auquel participe la partition au piano d’Armellodie de G Gonzales.

Nenad prend et reprend sa forme comme un musicien écrit et écrit des sonates, un poète des
strophes quand la poésie était à la rime. Lui prend et reprend la peinture ou la figure du cœur et à son corps
défendant, il compose. Cette performance sans lâcher la métaphore du visage qui se lave du rouge – de
l’amour violent, de la blessure, de la douleur - du visage qui se plonge jusqu’à ne plus respirer dans l’eau
– perte de soi dans l’autre, meurtrissure provoquée par le refus de l’autre - cette performance rassemble
le désir d’amour, de n’être plus sans lui et l’impossible mort puisque demeure l’espoir que ce cœur se
réanime par l’amour. Ainsi un petit cœur de tissu rouge et blanc rattrapé au fond de la haute bassine noire,
est-il tendu par le performer, humide de ce bain, au premier rang de ce public très respectueux et accep-
tant de participer à cet échange.
La performance y emprunte la densité d’un rituel. L’officiant agit dans l’obscurité mais pour que s’opère le
partage, sa gestuelle, en direct projetée sur le mur derrière lui, est visible par tous même si le comporte-
ment reste étrange, hors du quotidien.

L’histoire rassemblée à l’Histoire par un corps en souffrance qui ne le crie cependant pas.
L’histoire rassemblée à l’Histoire par un corps en souffrance.

Simone Dompeyre

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