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Traverse projette à l’ESAV
Mélanie Dagnet, Ceci n'est pas un viol, 9,07min
De ce qui n'a pas lieu d'être, ne restent que la
culpabilité et des résidus. Résidus d'un viol en ce corps
qui est le sien. Qui devient autre, étranger, absent de
lui-même. Sa nouvelle peau nécessite d'en gratter
l'enveloppe. Et le passé qui laisse des cicatrices
indélébiles.
Scarifications extérieures volontaires d'une blessure
intérieure infligée.
« Ceci n’est pas un viol est avant tout porté par les idées dominantes d’intimité et surtout de violence -
physique, morale, sexuelle. Ces deux thématiques se télescopant dans le viol qui est l’écrasement d’une
notion par l’autre. Le viol et ses conséquences en tant que sujets de scénario ne sont pas exactement
rares, ils se font même banals, presque habituels.
C’est que le viol est souvent regardé d’un œil masculin ou neutre, soutenant l’idée de pénétration par l’hom-
me-bourreau en la femme-victime et non en interrogeant la blessure intérieure féminine. Voulant m’éloigner
de cela, j’ai enlevé toute identité à l’homme qui n’était alors plus imprégné ni de culpabilité ni d’innocence,
pour laisser cette interrogation en suspens, Ceci n’est pas un viol ? A la croisée de la référence à Magritte -
Ceci n’est pas un viol mais ça en est la représentation, la simulation - et du désir d’infiltrer la confusion chez
le spectateur, j’ai choisi ce titre et cette manière de traiter le viol pour placer la culpabilité également du
côté de la victime. C’était ici ma manière - en tant que femme, en tant que vidéaste - de traiter d’un œil
féminin ce sujet particulier. J’ai réalisé ce film avec ma sensibilité de femme, certes, mais sans sensiblerie,
termes trop facilement associés. Par mon traitement que j’ai choisi volontairement cru, j’ai revendiqué
d’une certaine manière le droit à la femme-artiste de s’aventurer sur le terrain de la violence sans se
couvrir le regard. Mélanie Dagnet
Image granuleuse, couleurs sombres et sales, gros plan sur deux fragments corps : d'emblée,
l’option esthétique laisse peu de place à l'ambiguïté : ici se joue ? une scène de pénétration. Est-ce un jeu
et est-ce un viol qui est joué ? Comment le savoir, à défaut de pouvoir le voir ? C'est alors le son qui pro-
voque la tension, qui dramatise la scène, qui oriente la lecture vers ce que suggère le titre à référence évi-
dente. Ceci n'est pas un viol, ceci est ( peut-être) la représentation d'un viol. Nous le comprenons au visa-
ge raturé du jeune homme dans le plan suivant. Le violeur n'a plus de visage. Il peut être n'importe qui,
alors que la jeune femme, même floue, même en noir et blanc, même en gros plan, nous la repérons, nous
la reconnaissons, nous la suivons dans une succession de scènes lourdes de sens et de suggestions et
de symboles. Papier tranché, regards échangés, sons
de plus en plus stridents, cris, son lancinant, ralenti
des vagues puis accélération du mouvement, cris
encore et gros plans sur une bouche qui crie, jeux de
miroir et un miroir brisé comme les vagues qui en
s'accélérant se brisent elles aussi.
Face à la chair malaxée, hésitation entre
violence et désir - et renvoi immédiat au titre, et à cet
autre titre : Ceci n'est pas un film, où Jafar Panahi,
enfermé chez lui et interdit de réalisation, arrive à faire
un film de cette impossibilité de filmer. Se mettre à
l'intérieur et abolir la distance entre la vie et la représentation, entrer dans sa vidéo, nous faire entrer
dans sa vidéo, comme elle fait entrer ses ongles dans sa chair, c'est ce que Mélanie Dagnet pousserait
à suivre aussi.
Brigitte Bauer
18 Cinéma expérimental, art vidéo, monobandes - Processus