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Traverse projette à l’ESAV

on peut aussi la lire comme une métaphore de notre vie, de nos rêves et de nous-mêmes.
Je ne vois pas le travail numérique comme quelque chose qui produise de l’effet ou qui soit vite fait.
J’analyse ce travail; je suis heureux que le support numérique puisse servir à véhiculer un message sur le
monde et sur nous-mêmes. Une image numérique nette, même si elle n’est pas réaliste, permet un isole-
ment précis, un « gel » des mouvements spécifiques pour que nous puissions exercer notre observation et
notre réflexion. Et parce que les personnages représentées sont numériques, contrairement à un film ou à
une vidéo qui utilise l’humain, nous ne nous identifions pas avec eux. Je pense que cette distance permet
au spectateur de réfléchir et d’être plus contemplatif à l’égard de ce qu’il voit. »

                                                         Laure Jaudon, Repas silencieux, 4,26min

                                                                 Le Repas silencieux : chacun se souvient qu’à
                                                         l’école, on lui a appris que le prédéterminant « le »
                                                         désigne l’élément qu’il précède, parmi d’autres, de
                                                         même domaine restés indéfinis mais aussi que s’y
                                                         ajoute une connotation de distinction allant parfois
                                                         jusqu’au modèle.

                                                             Le Repas silencieux s’annonce ainsi différent et
                                                         il s’avère tel. Il est celui d’une communauté de
Carmélites qui se voue parmi d’autres règles à celle du silence. Le film se consacre entièrement à ce
moment d’une telle communauté de sept religieuses qui se passe de mots. Il laisse ces femmes qui ont
décidé de s’exclure du monde, dans leur espace, ne le perturbant absolument pas.

        Il adopte, en un heureux écho, un cadrage peu fréquent en éliminant les visages; ceux-ci n’entrent
dans le champ que dans le suivi du geste qui porte la nourriture à la bouche ou parce que la très légère
contre plongée, pour intégrer la religieuse assise en bout de table, intègre aussi la plus proche de la réali-
satrice. Celle-ci garde le hors-cadre, elle s’exclut de l’atmosphère qui ne l’accepte que pour cette discré-
tion.

       Le film décrit sans s’en approcher, les mouvements des mains, le suivi du repas modeste, fait d’eau,
de pain, de fromage, potage, yaourts et fruits, en gardant d’abord la distance du demi-ensemble qui pri-
vilégie, par ailleurs, le groupe. Et avant que telle ou telle femme soit focalisée, ainsi la plus vieille, aux
mains marquées par l’arthrose, quelques changements d’axe prouvent qu’elles suivent, de part et d’au-
tre de la table, le même comportement. Certes, sans autres sons que ceux du glissement des plats, ou
de la toux de l’une des femmes.
Le regard de Laure Jaudon est à la fois empathique et distant : la jeune femme a d’abord obtenu la confian-
ce de ces femmes, elle les respecte, son point de vue filmique les respecte. Elle laisse le temps de leur
repas régir son Repas silencieux.
Le montage suit la logique du repas allant jusqu’à la tisane. Le pain est pris, coupé, trempé dans la soupe
ou il essuie le fond d’une assiette ; ainsi de chaque aliment, et si l’une ne peut l’attraper, une autre le lui
tend, la première faisant geste de remerciement.
Le silence est celui de l’absence de paroles mais pas de l’absence des signes ; le lien est.

          La table se fait nature morte mais au sens positif des possibilités du goût.
Le plaisir de ce moment affleure. Ce n’est pas l’image de la pauvreté mais celle de la simplicité de vie qui
l’envahit. Un tableau au mur, des étagères riches de livres, un petit vase avec fleurs comme le lampa-
daire contemporain pourraient être ceux d’un appartement civil; de même, les religieuses sont habillées
civilement avec des vêtements banals du prêt- à- porter mais différents pour chacune ; seule celle que
l’on pense la Mère supérieure porte une - petite - croix blanche sans ornement. La simplicité concerne
chaque objet, verre à eau, corbeille de fruits en osier, assiette écuelle blanche, poivrière en bois marron,
petite salière de verre, simplicité qui concerne chaque attitude.

Cinéma expérimental, art vidéo, monobandes - Processus                                                           21
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