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                     Traverse projette aux Abattoirs

Loin de tout folklore superflu, le Japon est celui du dedans, le lieu où l’on vit: appartements avec

quelques objets de cuisine accrochés, futon à même le sol. Dehors, s’y succèdent la manifestation, le

masque contre la pollution, les rues étroites aux boutiques basses, les fils électriques apparents, les lieux

de passage, la gare. Ils restent anonymes en noir et blanc.

Un grillage, par deux fois, perturbe le désir de voir, souvenir du « No trepassing » filmique. Les

paysages ne confortent pas davantage, ils ne colorient pas l’atmosphère ; du train, ce sont des paysages

filés, les rails, les fils. Cependant, encore sans direction annoncée, le montage mène une avancée écho

de celle suivie dans une forêt et jusqu’aux montagnes et traces de neige. Sans doute, le Mont Fuji, Fujii

san, que cette désignation égale à l’humain. La montagne se dérobe en arrière-plan, lors du voyage, avec

sa crête blanche.

L’errance pourtant a un but, elle reprend son étymologie d’aller tout droit ; elle atteint Hiroshima,

lieu de la Douleur ; lieu de la provocation, de l’absence absolue, celle dela perte de l’humanité en l’homme.

Le film, pour sa fin et la première fois, prend le temps des plans de sa reconnaissance : d’abord

en plan rapproché, le mur aux espaces de fenêtres vides, puis un zoom arrière embrassant le monument

atteint par la bombe, devenu mémorial, et son dôme et le pont proche. Dès lors, le générique se peut, écrit

à la craie comme essuyé sur le paysage depuis le train, désormais en négatif ; le film nous entraîne de l’au-

tre côté de l’être.                                                  Simone Dompeyre

                                               Paul Guilbert, No grain, no pearl, 15min
                                                         En un préambule métonymique du projet, l’incipit

                                               adopte l’écriture métaphorique que No grain, no pearl tisse
                                               tout au long et qui le fonde. Porteur d’une petite pelle blan-
                                               che projetée sur son dos, un homme déchire l’écran de la
                                               première image pour aboutir sur le sable alors qu’une autre
                                               silhouette l’observe à la tâche.
                                               Des définitions venues de la rhétorique précisent, très vite, le
                                               champ du projet ; elles définissent des tropes ; ce terme par-
tage l’étymon de « trouvère » et de « troubadour », ces poètes d’Oïl et d’Oc qui tiennent leur nom de ce
qu’ils inventaient - trouvaient - des manières de dire différentes de celles de la simple communication que
l’on pense épuisée dans le message. On dit encore tourner ses phrases.
          La définition lancée la première est celle de « la catachrèse »; en un texte comme tracé à la
main, elle est glosée comme « assimilation d’un trope ( métaphore, synecdoque, métonymie…) par le lan-
gage courant. Elle révèle le symptôme d’une obsolescence linguistique par la banalisation. » La cata-
chrèse est cette usure de la langue érodée comme un caillou par l’eau or l’art précisément réveille ses
potentialités.
          Puisque la leçon de langue est lancée, il nous fait redire que poésie, c’était créer en absolu,
avant sa spécialisation littéraire. Le coucher du soleil a perdu de son image d’animé se reposant de sa jour-
née pour n’être plus que le terme banal de ce moment-là de la journée ; les bras du fauteuil ne feront, cer-
tes, pas un geste pour recevoir les vôtres… Ainsi le trope porte-t-il le sens dénoté vers d’autres domaines.
          Paul Guilbert ne cherche pas à faire étalage de savoir, il en est un gourmet et dépassant la leçon
d’esthétique, il déplace cette poétique à l’écriture vidéo, à l’écriture numérique. En amoureux de la langue,
dite, chantée, écrite, il emmêle divers propos dédiés au sable avec son lot de métaphores du sablier du
temps ou du château s’écroulant etc. alors son champ lexical entraîne avec lui, seau et pelle et tamis du
jeu d’enfant.
           Il ne se cantonne pas davantage à une preuve de culture même si le plaisir du baroque grâce
au rapide éclat de Giacomo Carissimi ou le plaisir d’opéra grâce à celui de Strauss/ Hofmannsthal qui
réveilla Hélène d’Egypte, se glissent à côté de chansons dites à textes ou de chansons populaires ;
même si l’hymne au poète Ashik Kerib de Paradjanov rejoint La Beauté du Diable de René Clair
et Les Contes Immoraux de Walerian Borowczyk où le diable est femme : Erzsebet Bathory ; chacun

40 Cinéma expérimental, art vidéo, monobandes - Processus
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