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Émilie FRANCESCHIN
Versus Jardin, au jardin de la Médiathèque José Cabanis
Versus Musée, au Musée des Abattoirs, Toulouse
Ce que performe Émilie Franceschin, c’est que le lieu crée le mouvement, le choix des objets et de la
musique de ses performances, jamais les mêmes.
Ce que je peux observer dans ses performances, c’est qu’elle y construit un vocabulaire. Tout geste passe d’abord
par son corps.
Versus jardin, à la Médiathèque, performance dans le jardin habituellement fermé au public. Endroit
banal presque austère. Émilie y sème sa poésie, y apporte du mystère. Elle embellit ce jardin par sa robe fleurie, elle
lui donne la potentialité de s’y asseoir en y installant un canapé, elle lui promet un futur de vie avec deux arrosoirs
l’un qu’elle a rempli d’eau, l’autre de terre.
En début : jeu de ballons par lequel elle nous renvoie à l’enfance, paysage sur papier qu’elle montre
avant de le faire disparaitre, en le mâchant pour le recracher. Dans sa légèreté de jeune femme en fleurs, elle se
pose sur le canapé avec un petit mouvement de balancement. Une deuxième jeune femme intervient, la tire de ce
calme, par les pieds, pour l’allonger au sol. Elle se saisit de l’arrosoir plein d’eau et le verse dans la bouche d’Émilie
qui la reverse sur les plantes, en jets successifs jusqu’à l’épuisement de l’eau et l’épuisant elle-aussi. Émilie se lève,
chausse ses talons aiguilles, marche difficilement dans la terre où les talons s’enfoncent, elle les ôte et les lance
avec force, se précipite pour les retrouver dans les plantations, elle répète cet étrange comportement par trois fois.
Après l’eau et la terre ainsi préparée, manque le semis; Émilie découpe alors les fleurs de sa robe, aidée bientôt
par la deuxième personne. Toutes deux composent avec ces fleurs de tissu comme un massif, en les retenant par
du papier adhésif et poursuivant sa logique, Émilie Franceschin y verse l’arrosoir rempli de terre qu’elle fait glisser
simultanément le long de son corps. Pour son finale, elle découvre à chaque spectateur, un texte avec trois pro-
positions; lire Les Fleurs du Mal de Baudelaire, regarder Le Jardin des délices de Jérôme Bosch et entendre Want
me du Balanescu Quartet. Sa performance réunit les signes de ce que l’on peut trouver dans la médiathèque; texte,
musique, image dans son jardin qu’elle a rendu plus humain.
Versus Musée, comme pour toutes ses performances, Émilie se laisse inviter par le lieu - ici les
Abattoirs - qui réveille des signes remémorant en elle un moment précis : l’exposition de Céleste Boursier-Mougenot
qui l’incite à retenir un jouet en forme de piano et la table à roulette. Elle déplace cette table sur laquelle elle retient
ce piano en plastique, en écho à la pièce Off the road de cette artiste-là où le piano bouge tout seul. Elle se souvient
aussi d’une autre pièce de la même Céleste Boursier-Mougenot, Averse où des gouttes d’eau tombent sur une
batterie; Émilie, elle, jette du haut de l’escalier des billes, en les faisant passer par l’intérieur de sa robe. Gestes en
écho à Versus jardin. Le grand tableau de Michaël Craig - grande épingle à nourrice peinte à même le mur et aplat
violet, rencontré dans le parcours de la performance, a décidé de la couleur du pull que porte Émilie et de cette
épingle avec laquelle elle s’auto-mutile en référence à Azione sentimentale de Gina Pane. Et quand elle s’allonge sur
ce banc qui d’habitude accueille les visiteurs du musée, elle pense à ces sculptures de la grande nef de l’exposition
de Tony Smith où ils prenaient appui… Un cartel devant le banc « ne pas toucher » glisse la référence la référence
de Marcel Duchamp « Prière de toucher ». Elle dort, ferme les yeux et rêve à Sleep d’Andy Warhol.
Jeanne LACOMBE
Photo : Samuel BESTER Photo : Roberto ALVAREZ
MÉDIATHÈQUE JOSÉ CABANIS / LES ABATTOIRS
PERFORMANCE 75
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