Page 92 - catalogue_2015
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Ingeborg SAMBETH

                               La montagne / Temps qui dure

              Un triptyque - dont deux pans, plus étroits de moitié que le central, flanquent celui-là - emprunte la       91
disposition de nombreuses œuvres religieuses, peintes ou sculptée de l’Occident des XIIème et XIIIème siècles. Ces
deux volets repliés cachaient l’icône révérée, on les fermait pour la protéger dans un oratoire ou hors des offices et
les ouvrait pour la découvrir selon les rites religieux.

              La Montagne n’inclut pas de signe obvie de sacré et malgré les charnières et leur léger penché, les
volets extérieurs n’attendent pas de fermeture. Cette tripartition n’étant pas fonctionnelle ni expressément religieuse,
elle conduit à lire différemment ce qu’on aurait tort de prendre pour un simple paysage.
Les trois lés forment part de la même montagne, des stries jaunes, dorées - un écho étonnant du triptyque sacré- se
répartissent au centre et à gauche, le même type de fissure prouve la même époque géologique, la végétation est
aussi rare de part et d’autre, un seul arbre nu, sec et quelque mousse peu répandue; le moment est le même, les
nuages poursuivent leurs contours sans arrêt.

              Des hommes et des femmes y montent, avec la diminution de taille propre à la perspective indicielle de
l’éloignement des premiers… sans efforts, ils forment une file selon les dénivellations; rares, à droite, sont les intré-
pides arrêtés sur des rochers plus difficiles d’accès, et ils dirigent leur regard vers… un couple d’amoureux plus haut
qu’eux. En outre, pas d’appareils photos, indissociables des excursions, rares aussi les sacs à dos; les vêtements
sont plutôt citadins quoique simples et deux valises à roulettes affichent leur incongruité sur cette pente.
Ce seraient des personnes en attente en un autre ailleurs, ce que surenchérit leur attitude d’attente nette, loin de la
marche sportive.

              Temps qui dure invite de même à la glane; son format panorama est propice aux grands sites, ce-
pendant l’extension du champ n’intègre que des volées d’escaliers avec de larges paliers blancs et le ciel, car la
foule sage attend en extérieur, afin d’atteindre on ne sait quel lieu, quel monument. Elle patiente debout sauf deux
personnes. Elle consulte des livres - guides sans nul doute - une carte étalée et dans la grande profondeur du champ
se décèlent deux personnes photographiant. Leur cohorte dessine une sinusoïde, ponctuée de taches colorées des
vêtements avec une récurrence de blancs en écho au matériau de la construction qu’ils empruntent. C’est l’été :
shorts, nus pieds, sans manches pourtant une étrange brume perturbe la visibilité, non pas celle de la zone du haut
claire sous le ciel bleu profond avec quelques dégradés, mais celle au plus bas de l’esplanade. Nébuleuse, épaisse
et fluide à la fois, elle déréalise l’image.

                                GOETHE INSTITUT

                                 PHOTOGRAPHIE

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