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Projections  Musée des Abattoirs

sur l’autre. L’image qui a dû passer, reste visible en image future non-calculée puisque
certains de ses pixels restent greffés pour s’incruster dans ce qui devrait s’afficher.
Ainsi, dans Le Rêve de la pêcheuse, un sein féminin se métamorphose-t-il en tête de
poulpe, qui se réforme en sexe masculin qu’un tissu épidermique, se transformant en
tissu textile aux motifs floraux, efface.

Cependant, seul est discontinu le rêve-événement libidinal puisque celui orgasmique
suit la trame du plaisir de l’acte sexuel allant de l’excitation à l’éjaculation. Cela
sauve le film de Samuel Bester de la catégorie X, bien que des scènes érotiques
voire pornographiques y soient lisibles ; bien que des sexes aussi bien féminins
que masculins s’y détachassent en gros voire très gros plans. Cependant, ce qui
éloigne Le Rêve de la pêcheuse de la chose porno la plus soft et/ou post1 c’est
qu’il ne considère pas le corps en acte sexuel mais le corps charnel en acte ainsi
que le théorise la phénoménologie occidentale par le corps sentant-senti de Maurice
Merleau-Ponty ou le corps sexistant de Jean-Luc Nancy. Autrement dit, la position
face à l’écran n’est pas celle du voyeur, mais celle des « yeux grand fermés » – selon
la riche formulation empruntée à Kubrick mais sans renvoyer vers lui – vers l’univers
(in)conscient de la virtualité onirique.

Ainsi, par cette esthétique du bug ou plutôt par ce que le bug crée, le problème
du Rêve de la pêcheuse n’est plus seulement celui d’un corps désirant, fantasmant
mais celui d’une intercorporéité orgasmique monstrueuse mêlant le corps désirant
et le corps désiré, le corps fantasmant et du corps fantasmé. Les corps charnels
se touchent, se frottent, se lèchent, se pénètrent. Par le toucher, faisant du corps
un sentant-senti, un touchant-touché, le « corps ne peut aller au-delà du contact
sans transformer, dissoudre, décomposer ou désarticuler sa propriété de corps.2 » De
même que l’image glitchée se reconfigure dans la jonction de ce que nous considérons
comme passé, présent et futur, le corps rêvant de l’ama – celui qui se touche, que
les tentacules touchent, que les mains comme tentacules touchent –, n’est plus une
entité (organique), n’a plus de figure, car il devient monstre – une chimère humaine/
animale – ce qu’évoque directement l’estampe d’Hokusai puisque le bras droit de
l’ama fusionne avec une des tentacules du grand poulpe – un amalgame de zones
érogènes, tissus, organes et liquides – et ce « monstre est un agrégat de fantasmes
changeants.3 » S’agit-il dès lors d’un corps ouvert, tordu d’une telle manière que,
comme le ruban de Möbius, ne sont discernables ni un intérieur ni un extérieur ; ni un

1 Les mouvements dits post-porn se multipliant actuellement revendiquent attribuer une valeur politique
fondamentale au corps par le renversement de son usage dans la pornographie.
2 Jean-Luc Nancy, « Toucher », in Bernard Andrieu, Gilles Boëtsch (dir.), Dictionnaire du corps, Paris, éd.
CNRS, 2008, p. 325.	
3 Jean-Claude Polack, « Le corps, la carte et le monstre », Chimères [en ligne], n°5-6, 1988.

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