Page 144 - Catalogue_Traverse Vidéo_2018
P. 144

Projections  Musée des Abattoirs

sans proposer de précisions ni d’explications… La logique naît du discours, elle est
celle de l’interstice quand viennent et repartent calmement, sans bruit, des fantômes.
Ils sont là, côte à côte, à la mort d’un jeune fille aimée – que la voix féminine dit avoir
eu l’élan de dévorer – quand s’approchent du lit, des ombres aux yeux changeant
du bleu profond au pâle, absent, sans éclat dans l’iris : cela a eu lieu parce que cela
se dit. Cela a lieu avant que ne se ferment et ne se rouvrent les yeux de celle/celui
qui voit.
Pas d’horreur, les topoï des chaînes, de suaires n’ont pas cours ; l’atmosphère est
celle de la « lumière à la fois faible et forte » ; de la quête par « devoir », de la quête
par amour. La procession se déroule par ce que la parole fait revivre la mémoire pour
être, même si ce souvenir fait souffrir.

Et les titres des films d’Alice Angeletti énumérés attestent d’un tel itinéraire dans ces
eaux de questionnement, de l’entre-deux, de la question du soi : Kronos / La Nera
Porta / Tu Non Sei Niente : tu n’es pas rien / Ra Menada / Once / Un songe est un
songe n’est pas un songe.

L’autre monde est ainsi de part et d’autre de la fenêtre que nous ouvrons en nous.
Il a la temporalité du dire ; nous y participons par la temporalité cinématographique,
chaque plan devenant instance de ce travail de mémoire partagée... Il provoque un
regard anxieux et calme à la fois car jamais ce monde/hors-monde et mondain à la
fois, n’est criante menace mais respiration de notre for intérieur.

                                                                           Simone Dompeyre

Kela Coto, Ampliación del territorio

8min24 | Espagne

                                               Kela Coto pousse les possibilités du
                                               photogramme dans un projet qui explore la
                                               construction du paysage contemporain. Dans
                                               cette vaste investigation visuelle, la réalité
                                               dépasse la fiction et la fiction construit le réel.
                                               Le titre Ampliación del territorio définit clairement
                                               la hiérarchie de la lecture d’une exposition où
les images parlent d’elles-mêmes. L’artiste ne capte pas le paysage, elle étend le
territoire. Elle n’utilise pas l’image photographique comme représentation de la réalité,
mais use de sa malléabilité narrative – de son agrandissement. Elle ne représente pas
des paysages, elle explore le territoire qui les englobe. Le mot anglais « landscape »
qui traduit notre paysage, condense l’ingéniosité de l’approche : le composant

144
   139   140   141   142   143   144   145   146   147   148   149