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Projections Musée des Abattoirs
Mark Tholander, (( ( (()) ) ))
2min42 | Danemark
Un film au titre non formulable, non articulable, non
prononçable, mais annonçant, par là, un nouveau
paradigme, celui de la nouvelle seconde Renaissance,
celui du réseau, du rhizome, de l’interaction.
(( ( (()) ) )) signifiant dont le signifié est un mouvement,
une dynamique, désigne une fréquence, une
vibration, un signal, un flux… « un téléphone appelle un téléphone, qui appelle un
téléphone, qui appelle un téléphone », comme l’énonce déjà la voix over sur un fond
sonore rythmé de bips aux fréquences aiguës.
(( ( (()) ) )) est la reconstruction d’un corps morcelé, fragmenté, disloqué… un corps
scanné – auquel renvoie le constant déplacement de la limite séparant les deux écrans
du split screen – celui que les sciences biomédicales ont construit. Un corps pénétré
par les rayons X et les fréquences électromagnétiques de l’IRM ou bien un corps aux
postures décomposées par ses crises lors des recherches qui ont précédé l’image
cinématographique, menées par Charcot, puis Londe dans l’atelier photographique
de La Salpêtrière à Paris. Sinon un corps photographié – avec les flashs irréguliers
indiciels à l’arrière-plan qui viennent tromper l’œil – celui que l’on transmet sur
« le grand corail agrandi » des réseaux de télécommunication, fragment par fragment,
du selfie au souvenir de voyage. Enfin un corps balayé, apparaissant ligne par ligne
sur l’écran de projection, toujours par cette limite, quoique verticale, mouvante
constituant le diptyque, telles les images que des artistes vidéastes envoyaient sur
les réseaux téléphoniques dans les années 1980-1990.
Bien que réalisé et monté numériquement, (( ( (()) ) )) dessine un corps à travers des
« grains dansants » et « une poussière lumineuse »1 ou évoquant quant à eux, l’image
cinématographique d’avant – celle tangible –, mais aussi et surtout au bruit – celui de
l’image électronique et celui qui brouille le message – ici, les fragments de corps en
image –, entre son point de départ et sa réception. C’est l’actualité d’un corps morcelé,
une figure aorgique qui échappe à toute organisation, à toute hiérarchisation ; une
figure en constante recombinaison/reconstruction de fragments, qui, eux-mêmes en
interaction, renvoient l’un vers l’autre voire s’articulent l’un à l’autre. Une figure dont
le contour est effacé dans cette image sonore de points colorés, elle-même signe
de l’entropie qui efface le modèle, la forme, le morphē. Ainsi, le problème du film de
Mark Tholander est-il « celui d’une croyance capable de nous redonner […] le corps
1 Gilles Deleuze, L’image-temps, Paris, éd. de Minuit, 1985, p. 262.
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