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Musée des Abattoirs  Projections

« scape » qualifie le sème premier « terre/territoire », lui adjoignant le sens du « point
de vue, paysage », de l’image ou de « représentation » de ce paysage. Dans une
telle proposition de « vue d’un territoire », l’artiste échappe aux visions romantique ou
naturaliste en énonçant le paysage contemporain comme une construction.

La représentation du paysage a été pensée par l’Histoire de l’art comme reproduction
de la réalité ; la photographie et le cinéma ont sublimé le travail de la peinture jusqu’à
l’inverser. Dans notre société saturée d’informations visuelles, l’image et la réalité
sont presque interchangeables. Des représentations de différents types ont dépeint
l’accélération exacerbée du développement productif du siècle dernier, en reflétant la
transformation socioculturelle qui constitue le paysage d’aujourd’hui et la fabrication
de l’espace dans lequel nous vivons. Mille Plateaux de Deleuze et Guattari ont
présenté l’accident topographique du plateau non pas comme un paysage en soi,
mais comme une structure mentale dans laquelle l’interrelation serait capable de créer
des paysages.
Cette structure deleuzienne se retrouve dans la grammaire de l’exposition. Son objectif
vise à déclencher la fiction – du paysage – et l’image comme syntaxe du projet.
La représentation spécifique du réel canalise toute la poétique de la (science)fiction,
comme un poème visuel inversé dont le propos et la forme sont travaillés avec une
cohérence incontestable. Vicente Huidobro ne renierait pas ce qui peut se lire comme
une version ultra-contemporaine de son calligramme Paysage dans lequel le texte
aurait complètement disparu.
Chaque plan exposé multiplie les significations de l’image et constitue une fenêtre
de fiction qui transforme le spectateur en usager, en constructeur de ses propres
points de vue sur le territoire et sur ses paysages. La technologie des dispositifs
de visualisation entre en résonance temporelle avec les images, ce qui souligne
le déséquilibre entre production et assimilation de celles-ci. Le projet recourt à la
temporalité critique de la pratique artistique, pour marquer la différence entre le temps
réel et le temps présentiel. Le temps de l’art est le présent, ce qui permet une réflexion
sur les conditions sociales, politiques et économiques qui, en termes de paysage,
nécessitent des processus plus longs voire anachroniques.

Ampliación del territorio explicite la trace omniprésente d’un passé industriel précis,
transmetteur à parts égales d’une connotation historique et de décontextualisation
spatiale : le temps et ses acteurs sculptent le paysage, sans arrêt. Cette suite
rétro-futuriste d’objets et de moments de lueurs compose une sorte d’hommage
à un paysage culturel imaginaire, un amour de l’image revendiquant ce que l’artiste
elle-même définit comme « poétique de la fiction ».

                                                                           Andrea Rodríguez Novoa

                                                                           traduction Traverse Vidéo

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