Page 38 - Catalogue_Traverse Vidéo_2018
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Projections Cinémathèque de Toulouse
lexique de Barthes, il rassemble avec des points d’acmé des moments qui poignent,
des plans punctum selon un rythme dynamisant et en accord avec le titre. Les plans
empathiques de gros plans, yeux allumés, privilégient les moments de quasi extase ;
extase exprimée par la gestuelle, les sourires, les regards adressés des gardes rouges
souvent, et des paysans, ouvriers, employés. Tous pris, explique le réalisateur en se
référant à la formule d’Althusser, par l’interpellation de l’Idéologie.
Le plan ne peut contenir le visage allumé par l’exaltation, il préfère l’exagération. Les
plans fonctionnent comme des « aspirateurs » de confiance, des aimants, soutenus
par des mouvements aux mêmes fonctions : le travelling s’approche du visage,
de la narine palpitante ou mouvement de
découverte, il va de la main aux yeux.
Di Hu a cependant respecté la durée de
chaque plan emprunté parce qu’il le considère
comme « l’unité minimale du cinéma » et
surtout parce qu’il juge que « le moins que
l’on puisse faire du point de vue éthique
est de respecter cette intégrité lorsque l’on
travaille sur un sujet aussi critique. » Et il est
vrai que le film n’est ni cruel ni écrasement de
l’homme, le regard s’approche de ce phénomène de rapt de l’esprit, plutôt clinique
mais éminemment cinéphile. En effet, ce sont les pouvoirs du film dont il s’agit, de
son fonctionnement comme indice de l’histoire et comme se répercutant sur le
monde. Il se fait aussi quasi linguistique en liant les actes, au-delà de toute période
de l’Histoire, à ce qui fonde étymologiquement le terme « extase » : être tiré hors de
soi pour atteindre son principe, l’Un, souvent Dieu et ici Mao, et ce, en une jouissance
extrême. Il est quête des signes de cette possession, de cette vision, de ce plaisir
extrême quand « ravissement », à nouveau, cumule ses deux acceptions : être pris
et être dans le bonheur. Cela nous-mêmes y adhérons dans le bonheur du film où
« Je vis des hommes et des femmes en Mao, qui furent, ravis jusqu’au septième ciel ».
Un rappel : La fondation de la République populaire en 1949 entraîna les communistes à créer de nombreux
studios d’État afin de réaliser un cinéma populaire visant à l’éducation/la propagande politique des vastes
régions isolées de l’arrière-pays où jamais encore de films n’avaient été projetés. Ce cinéma n’avait pour
projet que l’éducation du peuple et pour ce faire, jetait l’opprobre sur les traditions féodales, luttait contre
les superstitions, afin d’assurer l’adhésion au nouveau pouvoir. Six cents films furent produits entre 1949 et
1966 et les seuls films étrangers acceptés ne pouvaient venir que d’autres pays communistes. Cependant
la Révolution chinoise interdit toute réalisation durant six ans hormis quelques opéras révolutionnaires et
longs métrages de propagande.
Cf. p. 220 pour une troisième œuvre du même artiste.
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