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Performances Quai des Savoirs
Quai des Savoirs
Stéphane Privat, À l’ordre de sa propre nuit
20min | France
D’un côté, le récit d’une monteuse hantée crédit photo : Anne Murray
par un visage qu’elle croit retrouver dans
chaque image qu’elle manipule. De l’autre,
un performer dont les interventions sur
l’image se répètent sans cesse. Entre les
deux : un même attrait de l’image qui tient
au dévoilement de l’impersonnel.
La performance À l’ordre de sa propre nuit est
issue d’un matériau d’images accumulé
entre 2015 et 2017. Ce matériau, constitué
de photographies et de vues prises au
quotidien, m’interpellait sur un point en particulier : l’absence de l’autre dans le
champ, absence flagrante, qui en organisait le cadre et la durée. À cette même
période, j’amorçais un travail de recherche portant sur l’énonciation filmique et les
« figures de bord de scène » (pour reprendre l’expression de Louis Marin). J’ai alors
eu l’envie de voir comment ces figures – qui, dans les œuvres de peinture, prennent
en charge une partie des « procès et procédures d’encadrement1 » – pouvaient
trouver une actualité et venir réfléchir cette absence dans l’espace et le temps d’une
performance audiovisuelle.
Dans À l’ordre de sa propre nuit, cette recherche s’organise autour du récit fictionnel
d’une monteuse, récit qui est pris en charge par une voix au statut incertain :
enregistrée et relevant d’un espace off, elle peut être rapportée aux gestes live du
performer tout comme aux gestes présupposés de la monteuse. La duplicité de
cette voix met en doute le statut même du performer vis-à-vis des images qu’il
manipule : quelles négociations entre le mixage live des images et cette parole qui
semble, elle aussi, les organiser ? Il s’agit de distribuer les images et les sons pris
autour d’une parole qui, elle, n’est jamais tout à fait « prise » et de rentrer dans
un jeu de substitutions et de dessaisissements : qui cadre quoi ? quelles opérations
rapporter à quelle figure ?
Cette voix off n’a de cesse de réfléchir les gestes du performer en les mettant à l’ordre
de sa propre nuit et devient, au sein de la performance, l’opératrice d’un incessant
1 Louis Marin, « Le cadre de la représentation et quelques unes de ses figures », in De la représentation, Paris, éd.
Gallimard, Le Seuil, 1994.
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