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Cinéma Le Cratère Performances
mouvement de reprise. Reprise des images d’une version de la performance à une
autre ; reprise des gestes au sein de la performance en elle-même ; reprise enfin, qui
peut aussi se dire re-vision, par laquelle l’image projetée redouble la vue prise et la
recouvre.
Une image en particulier condense ce jeu : la silhouette d’un oiseau dont le
battement d’ailes est décomposé en une succession d’images-photogrammes
répétée en boucle et placée le long d’une autoroute. Cette image – prise à Sofia
alors que je filmais la ville par la vitre d’une voiture – n’était pas pré-vue. Une image
volatile qui surgit et se dérobe dans un battement d’ailes et qui convoque « sur le
champ » le double dispositif oculaire du visionnement cinématographique (caméra
et projecteur). Cette boucle ouvre systématiquement la performance, tout comme
le texte qui l’accompagne : « Je crains que les séances ne se confondent. J’efface
mentalement l’écran et le recouvre d’une pellicule opaque et impénétrable. Je fais
semblant d’arracher cette pellicule. J’entends même son craquement.1 » Cette
ouverture annonce le jeu à venir, celui d’une vue « prise » et de son dérobement
perpétuel dans l’image projetée et la voix qui la réfléchit.
Cinéma Le Cratère
Sandrine Deumier et Gaël Tissot, Uncanny Possibilities
15min | France
Performance de narration numérique / Fiction post-future : poésie sonore, musique
électroacoustique, art vidéo.
Composé d’espaces immatériels nimbés d’un brouillard constant, le monde virtuel
d’Uncanny Possibilities est un lieu inhabitable, un non-lieu. Dans cet environnement
instable en état de semi-effacement, des automates humanoïdes effectuent des
actions répétitives sans réelles conséquences et déplacent les repères entre l’animé
et l’inanimé, l’humain et l’an-humain, le tangible et l’immatériel.
Ces espaces ainsi dématérialisés et traversés par ces automatismes de l’absurde,
deviennent le lieu d’un dialogue en miroir. Ce dialogue est une joute poétique : le
duel psychologique d’une unique conscience dédoublée, distinctement audible en
deux voix séparées s’interrogeant et se répondant. Cependant, propos alogiques et
1 Alexandre Luria, « Une prodigieuse mémoire », in L’homme dont le monde volait en éclats, Paris, éd. Seuil, Collection
La couleur des idées, 1995.
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