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Lycée Ozenne Performances
lieux non habités et la menace de l’abstraction sur cette géographie.
« Vue » ouvre d’autres échos, avant même son adoption
pour les premiers films que les frères Lumière préféraient
appeler ainsi que « cinématographique ». D’abord simple
croquis pris sur le motif, sorte de notes pour le peintre
de paysage dans l’élaboration d’un paysage historique
composé ; très vite, en possible écho de la veduta, une forme
de tableau et de gravure d’une ville et de ses monuments et
avec dans la quête entraînant vers la photographie, la « vue
d’optique » offrait une vue perspective de ville ou de jardin
regardés dans une boîte d’optique, ce dispositif visuel
dérivant de la chambre noire… Cette vue, ce panorama
à usage utilitaire en ses débuts – le premier travail que
Colbert réclama, en 1668, à l’Académie des sciences fut
de tracer des cartes géographiques utiles aux marchands
et aux militaires – glissa vers l’usage culturel en s’éloignant
des objets dessinés utilement, en perdant leur fonction strictement référentielle.
Quant au premier Superamas, il agglutine le nom
scientifique de ces amas de centaines voire milliers de
groupes de galaxies, au milieu du grand vide et dont la
taille varie entre 100 et 500 millions d’années lumière
à un spectacle développé en réponse au désir scopique
diversifié du xixe siècle. Des dispositifs circulaires de
peinture en trompe-l’œil attiraient, dans leur centre, le
public : les panoramas.
Le mode d’emploi d’approche des images se lit subrepticement comme est subtil le
jeu d’illusion d’Aurélie Jouandon. Voir au-delà.
En effet, cet univers primordial se forme de particules entremêlées, de laines
colorées, de matières résiduelles et de poussières ; le réel minuscule photographié
pour l’image-illusion des espaces infinis.
Non pas pour tromper, l’artiste ne cherche pas à nous prendre en faute mais pour
apprendre à prendre le temps du regarder. Au plus proche, les filaments, les pointes
de matière, l’emmêlement disent cette origine, la nature de l’élément photographié.
La poésie de l’infime.
Poésie double de l’image qui crée/poïen du beau de l’insignifiant, qui métaphorise
l’existant en inaccessible et de l’approche paradoxale que provoque l’image
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