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Performances  Lycée Ozenne

scientifique hors de son propre domaine d’application. Elle réveille le sens
esthétique  – certes, aïsthesis, en grec, désigne autant la faculté de penser que
les sensations, les sens qui la provoquent. Et l’image de la terre prise depuis un
satellite, brillant globe bleu n’est pas appréciée simplement comme un apport de
connaissance mais simultanément, elle hérite de résonances de la pensée mythique.

Partant du plus vulgaire au sens de répandu, de plus trivial et plus encore de ce
que l’on pourchasse dans l’appartement, Aurélie Jouandon fait double chemin, elle
entraîne les poussières au galactique qui déclenche de telles pensées mythiques.

                                                                                                                                                                                                                                                  crédit photo : Anne Murray

Son travail performatif garde le même
schéma  : le plus simple, le plus exaltant  :
moment infime de beauté qui est dans la
mesure où elle paraît. Une table nappée de
blanc sur laquelle quatre feuilles de papier
blanc devant lesquelles quatre sachets aux
bords retournés, en papier kraft de couleur
déclinée du brun au beige des plus pâles,
remplis d’ocre de couleurs correspondantes
aux emballages. Ce pourrait être une
sculpture arte povera, non pas parce que
Un souffle est aussi le nom d’œuvres de Penone puisqu’il y s’agissait d’empreintes,
mais parce que son travail scrutait l’imperceptible. Respirare l’ombra – même si les
feuilles de lauriers en cage de treillis de fer couvraient la pièce entière de la Tour
de la Gâche du Palais des Papes d’Avignon – enveloppait des odeurs balsamiques
en écho à la nymphe Daphné changée en laurier pour échapper à Apollon. Le
souvenir aussi de Struttura che mangia d’Anselmo qui retenait sur du granit poli, une
laitue fraîche – à changer périodiquement.
Aurélie Jouandon, en écho aux objets déposés, sans bruit, s’approche, une main
derrière le dos, elle prend une poignée de chacun des sachets, sans hâte, avec le
même soin et la dépose au centre de chaque feuille, en mouvement circulaire
du poignet jusqu’à former un petit monticule alors elle lâche les derniers grains,
délicatement. Cela successivement avant de, avec la même lenteur, souffler sur
chacune des quatre petites îles entourées de vagues immobiles ou rochers, les fins
points alentour ainsi formés. Un petit trou perturbe le sommet de ce qui devient
minuscule volcan assoupi.
Et elle quitte le lieu.
La main a fait ce que le souffle a transformé. Dès lors, rester sur le sentiment que
quelque chose a eu lieu, que sans tonitruance, l’artiste entraîne ailleurs que dans le

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