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Musée des Abattoirs Performances
affiche sa manière d’agir à coups de poing, par sa tenue de boxeur, en position de
défi sur le ring.
Chiara Mulas est de la lignée des grandes, elle est parole de femme, elle est refus de
l’image bénigne de la femme mais dans la féminité parce qu’elle n’a rien à envier
aux modèles virils. Dans l’implication de sa force intérieure et dans son refus de
toute compromission, elle s’invente à chaque fois avec la même détermination de
dire « je femme ».
Cela se dit en robe-dessin sculpture de sainte extasiée, cela se dit en robe de
soirée – bustier avec brillants pour cette trilogie de sculpture vivante, agissante,
découpante. Non une singing mais une Cutting-sculpture, non sur un socle mais en trois
positions parentes devant trois bocaux de verre, au départ vides hormis les ciseaux
indispensables dans celui du centre, devant lequel, Chiara se tient décisive, en robe
rouge, d’abord. Sans sourire, le regard n’est pas de connivence, il implique. Il donne
le la du mode d’appréhension situationnelle.
Elle débute sa destruction, elle ne fait pas dénudation pour être vue nue, elle se
met nue en ôtant la pelure imposée de certains canons de beauté. Ainsi prenant
décisivement la robe en une pointe, elle tend le tissu et le découpe en ronds successifs
d’abord réguliers puis s’agrandissant au fur et à mesure que la robe se disloque
jusqu’au bustier qu’elle détache et avec une certaine hargne déchire à son tour.
Elle fait de même avec le collant blanc semi-opaque qu’elle découvre sous la robe :
ciseaux, ronds précis, destruction totale. Chacun des morceaux est jeté dans le bocal
devant lequel Chiara s’est plantée jusqu’à le remplir.
Seins nus, corps gracile juché sur les talons noirs ; elle a jeté les pièces dévouées à
la femme, cependant choisies sans ostentation – pas de jarretière tatouée comme
celle de Body Sign Action que Valie Export avait fait tatouer sur sa cuisse gauche
comme « marque d’un esclavage passé », ni de réelles jarretelles censées réveiller
le désir de l’autre : des collants sages. Certes la robe est rouge, modèle de celles qui
habillent en intérieur celles obligées au voile à l’extérieur, mais Chiara se dévêt dans
la sphère publique en art, à la frange du dehors. Alors que Pipilotti Rist, dans un
titre de renversement : ever is over all, en 1997, lors d’une action de rue très nettement
agressive contre les marques de pouvoir et d’argent, avait opté pour une robe de
mousseline bleue et des escarpins rouges – elle aussi – et avait brisé les vitres des
voitures garées dans une rue de Zurich avec une matraque déguisée en fleur. La
découpe est suffisamment explicite contre ce diktat de modèle à porter contre la
couleur particulièrement connotée.
Chiara réveille une autre strate de la mémoire pour une nouvelle inversion ; quand
lors de Cut piece/Taillée en pièces, à Kyoto, en 1964, Yoko Ono, assise sur scène,
laissait découper ses vêtements par le public invité à y monter pour ce faire, et que
nue, devant cette preuve de la sauvagerie, de la non-humanité de l’autre, elle se
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