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Valentine SIBONI
A la Chapelle des Carmélites
Draamasix ! Enhanced vision
Le flicker des mots
Les strates de cette machine-installation sont si imbriquées qu’elles obligent le spectateur
à inventer sa propre démarche pour l’appréhender. Machine au sens d’organisation calculée et com-
plexe, car, bien au-delà de sa forme triptyque, qui réitère un fragment filmique emprunté, sa combi-
natoire dépasse la citation-hommage pour y puiser une force de questionnement sur l’interlocution,
sur l’interrelation.
Eisenstein avait perturbé l’arithmétique en prouvant qu’au cinéma 1+1 est plus grand que 2, parce
que le montage n’est pas addition mais multiplication/produit ; qu’il ait signé avec Poudovkine et
Alexandroff, en 1928, Le Manifeste du contrepoint en résistance contre le cinéma parlant, entérinait plus
encore cette pensée du montage comme créateur de sens non par mimétisme mais par la relation ainsi
induite entre les plans images puis entre les plans images et les plans sonores. Le manifeste réclamait le
montage vertical, celui qui lie la bande image et la bande son dont les sources sont reconnues comme dis-
tinctes. La discordance ponctuelle première entre ces sources implique que chacune est source d’infor-
mation et que le discours naît dialectiquement de leur liaison, comme apport critique grâce à la distancia-
tion.
Draamasix ! Enhanced Vision a retenu la leçon. Valentine Siboni pousse les potentialités du
montage en ne se cantonnant pas à la réécriture des photogrammes, à leur couture différenciée mais en
investissant précisément le montage vertical. Draamasix refuse la pâle mimésis, afin d’interroger nos habi-
tudes d’acceptation de toute image comme reflet du réel, elle réécrit des images, reprend une histoire
comme métaphore. Son palimpseste reprend le matériau de l’histoire du cinéma, en un échafaudage nou-
veau, éloignant le spectateur de l’identification et faisant mine de lui poser des questions, auxquelles il
ne peut que répondre éphémèrement, puisque rien n’imprime ni n’enregistre et, dès lors, il saisit que ne
s’attendent pas de réponses de lui, car « ceci est un film ».
De biais, sur l’autel de la chapelle des Carmélites, happant de loin par son format long et étroit
qui la distingue des écrans des films narratifs des salles de cinéma, l’installation poursuit son appel par
des transformations chocs du champ, par des rouges vibrants en flicker et au plus près, par la reconnais-
sance des icônes du cinéma Taylor et Burton et très rapidement par le déclic mémoriel des scènes du
« combat » conjugal de Who's afraid of Virginia Wolf ? de Mike Nichols. Le premier plan ne laisse que peu
d’espace pour d’autre que ce couple de quinquagénaires qui après un baiser sauvage et sans pudeur - le
film est de 1966 - se toise et lance l’attaque verbale devant un couple plus jeune, qui s’entr’aperçoit
en second plan. Imbibés d’alcool, loin d’être retenus devant l’autre, ils s’en déchirent d’autant plus.
Ils montent le geste, le ton jusqu’à la grimace vociférante. Peu importent les mots, le signifié impor-
te moins que le débit, le volume, l’accent.
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