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Estelle VERNAY

          Quant au diptyque, il ne vise pas à former un nouveau couple entre la jeune femme, blonde en
pull blanc de laine torsadée, sourire se formant et l’homme en chemise grise, col ouvert, regard « par en
dessous » sarcastique. Qu’elle ait quitté Family Plot/Complot de Famille, dernier film d’Hitchcock de 1976,
et lui Californation, série télévisée américaine, diffusée simultanément depuis août 2007 aux États-Unis et
en France depuis mars 2008, ne se doit qu’à ce regard, en effet, d’adresse sans adresse et sans motiva-
tion pour celui qui regarde autre que sa prise de conscience « qu’il regarde ».
Le diptyque surenchérit le projet des deux autres gros plans dont la proximité inclut le spectateur dans le
champ qu’il ne peut dominer : lui aussi n’est que regard.

          Sortis de leur projet originel, en évasion de leur lieu, les visages peuvent darder, dans le noir, ce
regard sans objet puisque détaché de la fonction diégétique motivée par les ressorts scénaristiques. On ne
sait quel est leur rôle, ni leur nom. Ils ne viennent pas de films emblématiques ce qui éloigne le jeu du par-
fait petit cinéphile. Ainsi le regard y devient-il premier et motif de l’installation. Ainsi, devient-il pour le regar-
deur, lieu de la perte de soi puisque rien n’éloigne de cet être-là : le regard.

                                                               Regardeur réel et regardés fictifs sont liés par le
                                                          spectacle - dont l’origine latine spectaculum réunis-
                                                          sait le spectacle ( ce qui se voit), la vue ( l’organe qui
                                                          le rend possible), l’aspect ( la façon dont on le quali-
                                                          fiait) et a donné spéculation ( ce que l’on suppute ou
                                                          recherche), et l’on pourrait penser que Viewers
                                                          condense ces pôles puisque c’est ce désir-là du voir
                                                          que nous invite à prendre Estelle Vernay.

                                                               Cependant le leurre se poursuit puisque a viewer
                                                          est un téléspectateur ou… un télescope.

                                                                 Simone Dompeyre

                                Petite leçon sur le regard adressé au cinéma

«Le récit vraisemblable est un récit dont les actions répondent, comme autant d’applications ou de cas particuliers, à un corps de
maximes reçu comme vrai par le public auquel il s’adresse.» Genette Figures II

          Hollywood a multiplié les interdits assortis de leurs obligations pour régir les films dont, très
vite, a été saisie la force de persuasion sur le public. Si chacun connaît le Code Hays* - du moins de
nom- on sait moins que c’est une compagnie de productions de films, la Selig Polyscope Company qui,
dès 1909, a lancé officiellement l’interdit du regard caméra. Une note expliquait que les acteurs se tour-
naient fréquemment vers le metteur en scène pour lui demander des indications de jeu voire des
encouragements. Comportement que multipliaient les acteurs, dits alors « de complément », bénévo-
les des premières scènes de rue avant toute figuration rémunérée et, sans doute, espérant ainsi se
faire remarquer et embaucher.

          Ce mouvement perturbait les manières de tournage des très courts films généralement d’une
prise, c’était l’époque d’avant les scenarii. C’était aussi - et ce jusqu’en 1913 - une première censure morale
car le regard adressé était topique des films « déshabillés » avec LA « Nuit de noces » où le mari était
censé ne pas regarder mais où souvent la mariée aguichait. 1896, le Coucher de la Mariée, elle prend à
témoin, le spectateur ainsi que le ferait une strip-teaseuse au music-hall, ou bien c’est le mari qui apo-
strophe les hommes, puisque ce « genre » vise, en France, un public essentiellement masculin et qu’en
Grande-Bretagne, ces films sont vendus aux « clubs pour fumeurs ».

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