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                              Estelle VERNAY

                                                  Au Lycée des Arènes

                                                             The Viewers

                                                                   Qui regarde ?
                            Le regard adressé simulant le dépassement de la limite immatérielle du champ, il génère un lien
                 puissant entre le monde image et le monde de sa récep-
                 tion, il les met en tension. Ceci l’histoire des arts le sait,
                 citant les regards directs, d’abord, réservés à Dieu, alors
                 que la mythologie grecque inventa sa Gorgone/Méduse
                 pétrifiant qui la regarderait dans les yeux. Moins éloigné
                 dans le temps, le « I want you » du recrutement militaire
                 atteste de la survivance de la croyance en ce pouvoir. Le
                 motif en est lancé, en Angleterre, en 1914: un regard
                 hypnotisant aidé du geste déictique vise le regardeur.
                 Jugé suffisamment efficace, il est repris pour le recrute-
                 ment de l’armée des Etats-Unis, devant le manque d’en-
                 thousiasme de sa population à s’engager, et est com-
                 mandé à James Montgomery, en 1917. Son affiche aux
                 couleurs de l’Amérique décline le modèle anglais. Celui-là sans couleurs, plus rigoureux négligeait même
                 le pronom sujet du « Want you » jugeant comme énonciateur persuasif le portrait de Lord Kitchener, héros
                 militaire, intégré à cette première affiche. Le cinéma art visuel hérite de tels schèmes mais dans son pro-
                 jet de maîtrise de ce qu’il pouvait véhiculer, Hollywood s’inventa des lois, des obligations et des interdits
                 dont celui du regard adressé.
                            Cependant Estelle Vernay, en exploratrice des clichés du cinéma américain, leur rend une force
                 de fondement de ce cinéma. Elle les reconnaît topoï, ingrédients indispensables à leur être-genre, tout en
                 faisant leçon auprès du spectateur auquel elle démontre le fonctionnement du processus filmique.
                 En outre, sans emphase, elle prouve la dette des séries à ce cinéma fondateur pour elle.
                            L’installation est simple, sur le mur directement, dans le hall à recoins de l’auditorium des
                 Arènes, une, deux, trois projections dont l’une réunit en diptyque deux portraits venus l’un et l’autre de
                 deux fictions distinctes. Le visage - ou pour le troisième deux visages - occupe(nt) l’espace délimité par
                 les poteaux, totalement. Rien d’autre qu’eux, en un ralenti extrême qui dessine aussi lentement une
                 mimique, qui, en une boucle imperceptible, ébauche un sourire, agrandit une grimace. Les portraits, dans
                 cette vibration silencieuse, marquent leur origine audiovisuelle dans l’attestation que ce n’est pas l’icône,
                 la star qui est l’objet recherché, mais ce qui la produit. Extirpés de leur fiction d’horreur respective, The
                 Day of the Dead et True blood, ou autre American Horror story, ces visages refusent, très évidemment,
                 l’évitement systématique que l’on a longtemps posé comme l’impensable du cinéma. Jeune femme, col de
                 chemise levé, petit sourire pincé, très gros plan de femme aux mêmes caractéristiques ou homme aux
                 traits durs, vêtements élégants avec nœud de soie, sont des regards, se résolvent dans le regard.

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