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Louis-Michel de VAULCHIER

          La Vénus Recalculée de Louis-Michel de Vaulchier a beau prendre position dans l’espace de la
Chapelle, elle fait le bond au-dessus de tant de femmes à l’enfant, pour se réclamer de cet esprit qui pen-
sait la création comme poésie mathématique, qui se fondait sur le point de vue de l’homme. Cette
Vénus, cependant, s’affiche RE-calculée, elle refuse la sacralisation, la mythification, elle dit son faire
et se joue des bases théoriques de ce faire ; elle le dit en chant récréatif.

          La Vénus accolée à la verticale sur des pages de calcul se réclame de telles sources… mais elle
le fait dans un décalage bon enfant. Louis-Michel Vaulchier n’est pas de ceux qui étalent une mince cou-
che de savoir, il dissimule sa forte connaissance et des théories de l’image en calcul et de la musique, en
pastichant de sérieuses recherches.

          Simplement posée, et pourquoi pas, sur de simples pots de fleurs, « où l’on pourra ensuite faire
germer quelques plantes », une mince planche recouverte de feuilles raturées, non pas de devoirs d’élè-
ves corrigés mais de projets de cours, de feuilles portant des conseils pour que se comprenne la mathé-
matique. Des pages identiques entourent la Vénus. Simple et posé sans autre précaution, un moniteur ras-
semble les deux pôles : des figures non régulières, écho de fractales imagées et colorées, éclatent dans
le champ ; un visage en très gros plan, un homme ridé, l’œil cligne, sur la peau se surimpressionnent des
calculs, des brouillons; cette composition- image est reliée à un casque audio incitant à s’asseoir, à écou-
ter.

          Simple mais complexe, car la bande son envisage un nouveau grand bond temporel et un nou-
vel espace : théorie mathématique en récréation. Enoncé étrange concernant les espaces topologiques et
bribes de partition musicale vocale ou instrumentale, Berio ou Jean Barraqué.

          De Berio, quelques cris de femmes et l’improvisation tenue par Christiane de Vaulchier, décrivant
la composition de son être-sculpture de papier ; de Barraqué, le souvenir et du titre de son concerto Le
temps restitué et de la technique des « séries proliférantes », que le compositeur qualifia de « mécanisme
onirique » parce que les intervalles s'imbriquent et se désagrègent, pour une musique qui « s'invente sur
elle-même et se détruit à mesure ».

          Louis-Michel de Vaulchier se réclame son héritier en adoptant, pour son installation, sa définition
du musicien « qui organise des éléments à l’intérieur d’une limite » ; cependant sa voix même énonce,
comme à l’intention d’élèves attentifs, des propriétés des espaces topologiques revues et corrigées.

           Il revient ainsi au projet premier de création de la Vénus alors que la voix féminine ramène à la
simplicité de la manière de se mouvoir dans le monde de Louis-Michel de Vaulchier et au bonheur d’être
femme.

           Ainsi le sous-sol théorique de l’installation rassemble préalablement l’improbable. L’improbable
tissage de temporalités dans une réflexion sur ce qu’est la figuration aujourd’hui. Tissage d’une triple tem-
poralité voire de l’atemporalité puisqu’il assemble dans la Vénus Recalculée, diverses strates.
L’œuvre puise à ces ères appelées « préhistoire » parce que leurs traces marquées sur les parois, sur le
mobilier ne se lisaient pas encore comme des signes alors pourtant qu’elles inventaient la figure. Elle y
emmêle la temporalité reconnue comme Renaissance - qui fonda, quant à elle, sa figuration sur l’idée
d’une mathesis universalis avant la lettre, qui y incluait la musique en fondant ses images sur une géo-
métrie secrète. Botticelli compose la trame sous-jacente de la Naissance de Vénus en combinant les
divisions numériques obéissant et à la recherche du Nombre d’or et à celle des intervalles musicaux
perçus comme harmonieux parce que réglés par des rapports numériques. L’oeuvre y appose le pré-
sent, très épidermiquement puisque la Vénus est encadrée de deux lunes faites de pages de maga-
zine froissées, où se multiplient des beautés tout aussi codifiées sans que ce présent-là oublie la
mythique relation Femme/Lune. La Vénus glisse, par ailleurs, plus subrepticement, dans sa tempora-
lité complexe par sa bande son, ce qui se révèle, quand, dans un moment d’approche au plus près,
avec ses écouteurs, le spectateur saisit les pages de calcul que porte le triptyque, et voit et entend
la musique, les mathématiques contemporaines et ses figures topologiques…

          C’est cela la Vénus Re-calculée.
                                                                 Simone Dompeyre.

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