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                        Traverse Vidéo au Goethe

                                                              et Scrape

                            Elle transforme le champ en tableau où s’échelonnent, se superposent, se choquent des mots,
                 des phrases. Plus ou moins écrits en gros, et dans des emplacements divers comme autant de variations
                 de ton, en trois langues, ils s’inquiètent précisément de la langue employée : « Quelle langue ?», comme
                 de la difficulté de trouver le terme idoine « vous l’avez sur le bout de la langue » ; ce dialogue à plusieurs
                 langues se rappelle que sa langue, c’est aussi sa mère « Avez-vous rencontré ma mère/ avez-vous parlé
                 à ma langue »… Etres de langue, nous nous bâtissons avec elle.

                            Alexandra se dit, par-là, craintive de la perte de la langue, en disant les mots avec lesquels elle
                 n’a pas été alimentée. En disant, car sa voix énonce la perte, elle double le signe graphié ainsi le « I miss
                 you », est aussitôt suivi d’un écourté « I miss/ je manque ». Je me manque si je n’ai pas la langue. Et elle
                 intitule cet essai selon un étrange terme: Polyschrott. Ce mot valise se permet un assemblage inattendu, celui
                 de « polyglott/e » anglais/français et de « Schrott » allemand. Elle réunit la capacité à saisir les langues, à
                 les parler, «polyglotte» copié de son étymon grec- plusieurs et langue - au contradictoire « ferraille ».
                 Les mots ne seraient-ils que des bruits pour ceux qui n’en retiendraient que le signifiant?

                            Etrangement, de la vidéo ne sourd aucune inquiétude, les phrases sont lancées, claires ; l’espa-
                 ce leur est totalement légué. Elles ne s’écorchent pas, elles s’écoutent.
                 La tonalité vocale précise la diction sans rudesse, avec les pleins et les déliés sonores. Alexandra ne perd
                 pas sa langue en en trouvant d’autres. Dire la peur de la perte évacue la douleur, réserve la potentialité
                 de la parole.

                          Et l’amour de la langue le rend bien
                 à celui qui s’en préoccupe

                      et Scrape
                             Le titre secrète un recul paradoxal

                 puisqu’il peut se traduire par « gratter» alors
                 que le plan fixe qu’il annonce est idyllique.
                 Alexandra revenue de Taiwan refuse le film
                 touristique, quand elle capte, dans les lieux à
                 voir, un couple. Elle capte aussi les mots qui
                 s’y disent, glissant aux intonations chinoises
                 ce qui suffit à créer l’espace public autour du
                 couple amoureux pourtant seul, selon l’ada-
                 ge. Ils sont ceux qui font UN.

                              Dans l’embrassement, les mains se prenant, leurs gestes, leur regard - autant de signes indi-
                 ciels - disent qu’ils s’aiment. Petit clin d’amusement, Alexandra filme le jeune homme lorsqu’il prend leurs
                 deux bouteilles laissées sur le rebord d’où ils se penchaient. Lui et elle. Et lorsqu’ils ont quitté la terrasse
                 de bois, le belvédère reste empreint de leur passage. Le soleil continue à produire des halos vidéogra-
                 phiques. Les deux sont un.

                            Faudrait-il les dédire dans le recul ou plus agréablement sourire, devant le comportement qu’un
                 Parr, quoique dans une autre esthétique, retiendrait.

                            La solution est dans la ponctuation orale ; deux sont un dans le champ visuel mais l'image sono-
                 re détache «I, miss»/«Je, manque» ; l’amour peut laisser une individualité dans le couple.

                                                                           Simone Dompeyre

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