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               Traverse Vidéo au Goethe

                                     Christin BOLEWSKI

                                        Seventeen point plan

           La vidéo de Christin Bolewski est un leurre. Elle attire plaisamment tant elle manie la partition
plastique en amoureuse du beau, tant elle en sait les nécessités de cohérence interne. Sur sa peinture
pariétale en mouvement, des idéogrammes chinois glissent au long de la verticalité retenue des peintures
asiatiques. Portés par ce format, ces signes y gagnent une aura poétique. Ils suivent ainsi l’appropriation
vidéo à laquelle Christin se consacre, en adoptant le paysage topique chinois, dit shan-shui-hua/ montagne-
eau-peinture en traduction littérale. Ils bénéficient de cette association poésie, calligraphie et écriture qui
fonde la peinture selon l’idéal des Lettrés chinois qui inventèrent le paysage bien avant l’art occidental.
Ils pensaient la peinture comme poésie sans paroles, les vers calligraphiés comme peinture non illus-
trée, ce qui différe du Pictura ut poesis des penseurs occidentaux, qui, eux, revendiquaient que la pein-
ture considérée comme artisanat fût reconnue « art » tout autant que l’écriture poétique: Ut poesis.

           La peinture chinoise pense texte et image comme indispensablement liés pour cette création.
Pour parler de la peinture, les Lettrés disaient écrire une peinture / xie hua.

           Ecrire/peindre en vidéo, en adoptant ce modèle n’est pas un scandale mais une logique forte :
peint sur rouleau, le shan-shui-hua se découvrait dans le déroulement du tissu ce qui participait de l’émo-
tion esthétique, à tel point que lorsque ce support fut abandonné pour le livre, les peintres le gardèrent pour
profiter de la lenteur à dérouler l’œuvre et pour sa constante création de l’espace pictural.

           Le montage vidéo impose, lui auss,i son déroulement, il impose le temps pour former le mou-
vement; le paysage chinois allonge ses multiperspectives, selon la durée vidéographique, plus encore,
puisque le texte est redoublé
par une voix qui sans le
temps de l’écoute n’est plus.
Christin Bolewski le fait en
parfaite conscience.

        Ce dernier opus n’est
pas une réponse nostal-
gique à un temps effacé, il
emprunte à la tradition chi-
noise pour accuser de ses
manques, la Chine contem-
poraine : L’Accord en 17
points, titre français, n’est
pas d’ordre musical mais
d’ordre politique.

          Le leurre de la beauté maîtrisée s’avère brûlot à l’encontre de la Chine qui oppresse le Tibet. La
calligraphie chinoise s’accompagne de sa traduction en alphabet latin, s’accompagne de la contestation,
par une voix off féminine, contre cette atteinte aux droits d’indépendance de la nationalité tibétaine.

           La projection en boucle, à même le mur du Goethe Institut, de cet Accord en 17 points, a ainsi
mêlé la fonction du Dazibao, ce type d’affiche rédigée par un citoyen et placardée pour être lue par tous
et le déroulé du rouleau. L’esthétique traditionnelle et l’engagement politique personnel.

         La beauté du paysage s’y avère vénéneuse.

                                                                            Simone Dompeyre

Installations / Boucles vidéos - Processus                                                                       145
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