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                          Silvana REGGIARDO

                                             Au Centre Culturel Bellegarde

                                                           L’air ou l’optique

                            Comment continuer à parler de la photographie comme objective alors même que, dès ses
                 débuts, elle se réclama « pictorialiste » afin d’être l’égale de la peinture, en modulant ses nuances, en atté-
                 nuant ses contours.

                            Comment désormais effacer d’un geste, l’inclinaison conceptuelle portée par ceux qui interrogent
                 le processuel photographique, qui pensent le matériau comme forme. Ceux-là acceptent l’étymon : écrire
                 par la lumière/ graphein et photon.
                 La lumière, c’est ce qui fonde le regard en bleu de Silvana Reggiardo.
                 Quand on reçoit ses images, d’emblée se glisse le vers d’Hölderlin : « En bleu adorable fleurit », le début
                 de la poésie seulement car le référent qui suit est exclu de toutes les explications du bleu de Silvana.
                 Explication comme dépliement, ex-plier et non comme didactique.

                            L’exposition se déploie le long d’un espace étroit qui en devient habité : des images en formats
                 divers, tous préfèrent la verticalité en acceptant les connotations de l’élevé vers… et ce, en dimensions
                 restreintes, l’emphase n’est pas le signe de l’artiste.

                            La série relève des bleus de cieux… photo-trace, le point est fait sur un référent, mais elle s’en
                 détache simultanément et la diversification des formats efface la typologie. L’approche n’est ni météorolo-
                 giste, ni climatologique, les traces y sont des plis, les nuages des nuances de blanc qui devient une cou-
                 leur.
                 Le cadrage exclut tout indice de ville, de localisation. Le champ est pris par le bleu ou les bleutés, gris,
                 grisés.

                            Silvana Reggiardo poursuit ainsi son appétence de la vacuité-pleine. Après les architectures de
                 verre, qu’elle a photographiées derrière des fenêtres, elle photographie l’air, comme son titre l’espère dans
                 sa fausse simplicité. Fausse non seulement parce qu’elle parvient à l’impossible image puisque l’air ne se
                 voit pas, l’air passe… la série lui donne « corps » ou plutôt instaure sa visibilité mais aussi parce que sans
                 heurts, elle se permet une assimilation de domaines divers.

                           L'air ou l'optique, le « ou » n’est pas alternatif mais copulatif; « optique » y devient synonyme de
                 « air ».
                 Silvana Reggiardo conduit au conceptuel : ce titre approché des images ouvre sa polysémie. Y est dit équi-
                 valent à l’objet nommé - même si c’est le ciel ici - l’instrument par lequel voir, dans son ensemble ou la par-
                 tie sur laquelle agit le photographe, l’optique. On peut aussi dans « optique » entendre la science qui
                 détermine les lois de la lumière et des phénomènes de la vision ou encore le point de vue, l’angle sous
                 lequel on envisage tel ou tel fait. Tout sous le simple rapprochement.

                            Ce qui meut Silvana Reggiardo, c’est la résultante de l’optique, bien plus que l’objet vu. L’œuvre
                 signe, signe d’elle-même, résorption du signifié dans son signifiant plus que l’œuvre référentielle. Elle
                 revient ainsi en le détournant totalement, paradoxalement à ce qu’au XVIIIème siècle, on désignait comme
                 optique, à savoir une boîte dotée d'un miroir incliné et d'une lentille grossissante dans laquelle on plaçait
                 des estampes coloriées, que l’on appelait des « vues d'optique » afin d’obtenir une perspective beaucoup
                 plus marquée.

                            La boîte optique/ l’appareil-porté-par-le-regard de Silvana y parvient à une suggestion aiguisée
                 du plaisir de l’acte de voir sans avoir besoin de reconnaître.

                            Et n’est-ce pas faire acte d’art de ce qui est au-delà de l’attente.
                 Ce qui est si inutile qu’il en devient essentiel parce que par lui, l’être biologique devient humain pensant,
                 aimant, désirant et le vu désirable.

                                                                                  Simone Dompeyre

Photographies - Processus                                                                                                         163
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