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VIDÉOS ET FILMS D’ICI ET D’AILLEURS
Jonathan DOWECK / Amir YATZIV, Paleosol 80 south, 18min, ISR
L’association de deux termes techniques pour le titre implique la recherche et celle-ci concerne un lieu
précis pour un type de sol ancien : une zone enterrée sous des dépôts plus récents avec d’autres climats et végé-
tations que les nôtres, Paléosol, le sol premier. La manière de le situer adopte, de même, la précision technique, or
le documentaire ainsi amorcé défraie, d’emblée, cette logique. L’itinéraire filmique entraîne de montagne en vallées
mais en une image étrange bleutée, ce monochrome nuancé de variantes de clarté ou de saturation floute les
contours; parfois des espèces de vapeur forment des vagues sur ce désert de cailloux et de sable; la terre perd de
sa consistance, on pressent la marque de la chaleur.
Le cheminement est celui d’une camionnette qui croise des tanks, des radars et un étrange engin
leurre gonflable à l’intention des appareils espions suffisamment éloignés pour y croire. Il passe aussi devant des
constructions isolées, aux fonctions indécises tant leur forme s’éloigne d’une utilité précise : arche sans ornements,
mur troué d’un impact, structure de métal avec poutrelles et croisillons après un petit drapeau en ses débuts. Deux
hommes se comportent en ouvriers, avec leur casque de chantier et leur activité, ils sont les conducteurs du véhicule.
Ils circulent, travaillent, se reposent la nuit à même le sol et le jour, ils montent sur la structure avec un chalumeau
dont la flamme s’élargit comme devient incandescent le feu du bivouac, à tel point que l’on comprend que la caméra
de Paleosol, 80 South est thermique.
En effet, un tel appareil enregistre les différents rayonnements infrarouges, autrement dit les ondes de cha-
leur émises par les corps, qui varient en fonction de la température émise, ainsi les parties métalliques polies re-
flètent-elles l’image thermique tel un miroir et la chaleur du feu fait-elle dépasser les formes référentielles : ailleurs ce
sont des halos qui débordent les éléments...
Par ce décalage, tout baigne dans une même atmosphère et les animaux à longues cornes effilées traversant le
champ sans bruit participent de cette construction d’un espace autre. Par ailleurs, une voix masculine provoque une
lecture inattendue en y reconnaissant la montagne de Dieu. Le générique de fin en restitue le propos à l’archéologue
Emmanuel Anati selon lequel ce lieu, du Sinaï, fut, dès l’âge du bronze, une montagne sacrée, un important lieu de
culte, ce qu’il argumente par la coexistence d’habitat au pied de la montagne et de sanctuaires sans habitat en haut.
Parfois la bande image répond au discours. La montagne traversée se détache, en effet, dans le lointain, et pour-
quoi refuserait-on la métaphore du « lion dompté » puisque la description de la montagne ne s’éloigne pas trop de
son référent, si ce n’est qu’elle n’a pas la couleur noire que la voix lui accorde; rien n’infirme non plus que les rocs
ne soient la résultante de la chute d’un astéroïde; la relation reste possible quand un « nous nous sommes essayé
à la chasse » entraîne la scène d’un renard aussi malin que sa réputation le dit, qui tourne autour d’une petite cage
piège, parvient à en tirer l’appât et à s’enfuir. Cependant, le plus souvent ce n’est qu’une lointaine ressemblance ainsi
les artefacts ne deviennent les « formes naturelles qu’ils (les hommes d’alors) achevaient et perfectionnaient » que
si on veut les reconnaître comme telles.
La voix se tente iconogène quand elle transforme en « vestiges », en les désignant comme tels, des pans de murs
modernes ou, quand devant le rien, elle décrit les dessins sur les pierres, les empilements rituels de petits cailloux
ou un géoglyphe. Elle ne peut y parvenir quand elle relate la découverte de « grands récipients trop lourds pour être
portés (…) et dès lors « fabriqués à même le paléosol, le sol primitif » parce que les deux hommes travaillent avec
un simple treuil tenu sur un trépied pour renverser le contenu de ciment d’un gros tube.
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