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Michael CARMODY
Dusk to dawn : D-Evolving, Projection en boucle
Des plans larges de paysages si longs et sans action que l’on y verrait des photographies suspen-
dues aux couleurs ternes et irréelles, si n’étaient, parfois, de légers zooms jusqu’au gros plan d’une plante... et un
chercheur équipé de jumelles avec lesquelles il scrute les alentours mais au visage caché. Dusk to dawn :D-Evol-
ving est un film non-narratif, mais en plusieurs moments, dont la relation forme un discours engagé, le long d’une
exposition plastique valant alerte écologique.
Peu de pistes, pour localiser le territoire. Michael Carmody est un cinéaste australien, mais le paysage
étonnant qu’il filme s’éloigne des biotopes australiens dont nous n’avons qu’une image figée et de la richesse de la
faune autochtone.
Pas de différenciation entre les zones de forêt, de prairies et les ravins auxquelles même ressemble
le ciel. Michael Carmody, en effet, y préfigure le monde futur, celui du post-changement climatique avec le minéral
à fleur de sol, la végétation ayant disparu et les arbres s’étant raréfiés. De ces terres arides, s’échappent des ef-
fluves, qui comme des teintes ou des filtres bizarrement colorés métamorphosent le climat. Des brouillards stériles
où la vie s’est atténuée.
Dusk to dawn : D-Evolving fait un état des lieux avant-coureur des conséquences de la surproduction néfaste de
l’homme sur son environnement.
L’observation des espèces florales, la minutieuse recherche du vivant par le biologiste, unique humain
à s’inquiéter de cette désolation qu’il paraît habiter... ces plans lents et énigmatiques prennent sens après le change-
ment de tempo lors d’une séquence d’adjectifs : une succession de mots qui provoque la confusion, car on ne saisit
pas en un premier temps, la motivation à l’écoute de leur énumération, et qui sont tous synonymes ou marqueurs
de degrés du concept d’extinction. Ces mots défilent et les reliant au titre, nous réalisons qu’ils tendent le portrait
d’un nouveau commencement, sans créatures vivantes. Michael Carmody réveille à la lucidité, en nous obligeant à
reconnaître notre incapacité à gérer nos modes de vie qui actuellement détruisent la planète. Un homme seul, lui, se
dévoue à la recherche de l’oiseau disparu. Cette observation invite le souvenir, en une musique saccadée idoine au
système de la chronophotographie de Muybridge dont les images parmi les premières après Marey scrutèrent en
mouvement le corps animal comme le corps humain.
Le début de la fin de notre compréhension des autres formes de vie, puisque nos recherches, pointues
oui mais souvent cruelles et toxiques n’ont pas pour but une cohabitation rationnelle avec les animaux, mais une
exploitation à des fins d’enrichissement matériel.
Un éveil contre l’indifférence.
Isabelle ROMERO CLAVEAU
GALERIE CONCHA DE NAZELLE
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