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Performances Traverse Vidéo 2016 - L’atypique trouble 74

Ayant disséminé au sol, la dernière volée de ses messages, Cedranna rejoint une estrade de bois couverte
de poussière grise, la cendre que le vers de Villon rapporte à notre corps après la vie… désormais en
une simple tunique dont les drapés connotaient ceux des statues de jeunes femmes / déesses endormies
ou de gisant, elle danse.
L’image se répète en diverses dimensions, deux moniteurs hors scène et sur celle-là, enserrent en leur
petit écran le corps en grande dimension s’exalte sa délicatesse, parfois dans la superposition de sa
rémanence et lui rend l’espace et sur le bois, le corps avance, tourne lentement, décompose son
pas, glissando… le corps plus fortement se redresse et lance, projette, propulse ou laisse retomber la
cendre que les mains ramassent quand elles ne la mêlent pas - alors sur le mur, une plongée zénithale
découvre les fgures ainsi dessinées.
Certes, certains gestes ramènent à des rituels de deuil et de pénitence et au fonds biblique ; pour exemple
- et, déjà c’est la femme offensée qui est jugée coupable - dans le Deuxième livre de Samuel Tamar, flle
de David, répandit de la cendre sur sa tête et déchira
sa tunique de princesse parce que son frère Ammon
l’avait violée.
La performance ne respire pas de telles cruautés, elle
soulève une poussière qui a perdu toute lourdeur et
toute laideur. Elle garde dans sa démarche de ce feu
qui couve sous la cendre.
La danse n’est pas triste, elle fgure ce passage vers
un état, léger, harmonieux… un moment fottant ; elle
prend le pas d’autres Ombres Errantes… et la partition
de Baber s’accorde ce moment de grâce, ce moment
plein, ce moment de beauté. Une élégie à une mort
qui ne serait pas macabre, ni horrible qui convoque les
pratiques funéraires mêlant les cendres à la nourriture
des vivants - en Amérique du Sud - faisant des statues
de Bouddha en la mêlant à de l’argile - au Tibet -
fertilisant ici et là les champs avec elle.
Si le titre est poésie de Villon, très loin de ses
pendus dont « Pies, corbeaux (nous) ont crevé les
yeux / Et arraché la barbe et les sourcils », la tonalité
de l’œuvre ouvre un nouveau testament d’Orphée,
© R.Bourrillon où le poète serait devenu danseuse, où comme le phénix,
il reviendrait à la vie par sa combustion même. Le
Poète traverse le miroir, la danseuse est attirée par le refet.
Cette cendre coule comme eau quand elle s’en frotte le corps, s’en emplit le visage ; elle fotte comme
air quand elle la souffe, la jette ; elle témoigne du feu quand la danseuse s’approche de cette colonne
de lumière si étroite qu’elle se fait écho de portes vers un autre monde.
La danseuse s’y avance, en recule, y revient happée par la lumière qui la fait illumination… qui la fait
diaphane. La cendre garde la trace de ce qui fut la vie de l’humain… ce qu’augurait la rose qui, sur l’écran,
devançait Cedranna.
Rose et Eros, rose et souvenir, traces de vie ; elles se dispersent au vent et se répandent sur la terre ou se
dissolvent dans l’eau, éphémère comme la feur, éphémère comme cette performance dans la pénombre
de la nuit « la douce nuit qui marche ». Simone D.
- 2. Centre culturel de Bellegarde -
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