Page 140 - catalogue 2017
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Installations 10. Chapelle des Carmélites



L’échange engagé avec la première femme confrme leur position respective : la première garde une sorte de réserve,
afrmant simplement qu’elle « se sent bien ici », regard perdu dans la contemplation, ce qui amuse la deuxième qui
ne se prive pas d’expliquer, en long et en large, ce pourquoi elle est là, à savoir simplement alimenter une série de
photographies.
Si la première femme s’expose au trouble spirituel suscité par le lieu, la deuxième lui oppose une démarche nette,
en envisageant l’espace dans sa dimension la plus élémentaire, la plus « consommable ». L’irruption de la troisième
protagoniste bouscule leur construction du regard sur cet endroit particulier.
Cette troisième femme est accompagnée d’une enfant, ce qui la conduit à agir et à investir le lieu d’une tout autre
manière, puisqu’elle guide les mouvements de l’enfant, qui transforme par sa seule présence le rapport à l’espace.
L’enfant devient l’altérité qui ne porte aucun jugement a priori sur le lieu ; son très jeune âge la pousse à jouer,
à regarder hors de toute dimension spirituelle et de projet de consommation d’ordre esthétique. Ses réactions
relèvent de la reconnaissance littérale, ainsi elle s’écrie « Bébé ! » devant une Nativité. L’enfant est ainsi éveillée au
lieu, disponible d’une façon absolument première et elle s’y déploie sans construction préalable. La mère se partage
entre le plaisir esthétique et le plaisir afectif devant une enfant nimbée de lumière.
La chapelle s’avère un espace que l’on ne peut appréhender facilement ; elle se prouve susceptible par sa profusion
picturale d’éveiller un sentiment de mystère religieux alors même qu’elle est désormais le lieu muséal d’expositions
y compris de cette œuvre en abyme, puisque Élévations est placée exactement à l’endroit où la mère et l’enfant se
tenaient. La chapelle comme œuvre suscite une pluralité de regards.
D’après l’article de Marc-Antoine Vaugeois (Format Court)

Françoise MAISONGRANDE, Entre tes draps, 19min18 (Tlse)

Dans la Chapelle des Carmélites, deux stèles appellent à s’arrêter,
là, dans la nef, sur des éléments d’un quotidien, des draps ; si ce
n’est qu’ils sont dérobés à un tout autre espace, à un usage très
particulier puisque draps d’hôpitaux, ils accompagnent la malade
alité, dont on prend soin…par synecdoque, une attention sans
manque se porte à chaque instant sur les draps.
Des draps qui s’entassent, se tendent, se plient, se rangent, des
draps qui s’accumulent, s’empilent, avant d’envelopper les
corps avec rigueur mais aussi délicatesse.

Les stèles s’avèrent ainsi à la fois de guérison, votives,
commémoratives et frontière entre un univers et un autre ; elles
font suite à La princesse au petit pois* et à De beaux draps**.
Dernier rebondissement de mon parcours, Entre tes draps naît de
la rencontre avec ce lieu autrefois construit pour des religieuses
recluses et le souvenir du scénario posthume de Dialogues des
Carmélites écrit comme une méditation sur la mort et le destin
humain, en empruntant à Ste Thérèse d’Avila, la simplicité et la
poésie des images concrètes.
A la surface d’une des stèles, comme un chant silencieux, les images déflent porteuses d’humanité et de familiarité.
Il y a quelque chose de l’ordre du geste salvateur dans chacun de mes travaux. Je fais émerger des formes
spirituelles de contextes quotidiens, complexes, difciles et parfois douloureux, qui partagent tous la question
de l’enfermement, de l’absence de liberté et de l’écoulement du temps. Ces formes - gestes, objets, relations,
matières, éléments d’architecture - sont là, perceptibles mais comme partie d’un ensemble dans lequel elles sont
noyées, irrémédiablement quotidiennes, sans relief. Mon travail s’attache à leur donner une autonomie, un statut
qui les libère des situations qui les engluent. En les décontextualisant, je fraie un passage entre l’ordinaire et
l’extraordinaire.

Ces formes ont toutes en commun d’être des signes de la personnalité de ceux qui les font ou les portent. Quand on
ne voit qu’une ménagère, qu’un malade, qu’un aide-soignant, qu’un prisonnier, qu’un maton, qu’un élève… quand
on ne voit plus qu’une condition, le plus souvent subie, elles sont signes de ce qu’ils sont, des signes d’êtres, des
marqueurs sociaux.


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