Page 18 - catalogue 2017
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Projections 1. isdaT
se refusent à l’enfant - homme en réduction y compris dans son habillement - lové dans les bras d’une mère aspirant
goulûment avec une paille son verre, plus intéressée par la série télévisuelle d’amour en contre champ, que par son
bébé malgré le bijou-coeur qu’elle arbore. Ils s’exhibent ensuite, point focal de la séduction et encore à la télévision,
le long de talk-shows, de porno-soft, de publicités pour les esquimaux au lait et à sucer ; télévision qui hypnotise
la mère avide.
Le trait fn à l’encre dirige des corps beaux et grossiers à la fois, sensuellement vulgaires, étranges et attirants, trop
larges et très semblables, partagés par tous ces humains-là sans consistance, obsédés par la succion, l’absorption
de liquide et le sexuel avec poitrine.
Tout s’assimile d’emblée : l’enfant est déjà vêtu en adulte d’un costume noir, chemise blanche, cravate. L’enfant
est déjà homme miniature et l’homme qu’il devient reste enfant, même mimique, mêmes traits, mêmes attirance
et obsessions, le même en taille L. Quand enfant, il veut copier la mère qui suce le lait, qui, elle, copie le modèle
télévisuel, elle le « sort » sur la pelouse devant la maison où il se met à sucer le cube à apprendre à lire avec la lettre
A ce qui s’avère son apprentissage de la frustration puisque le commencement, jamais achevé, de succion…
L’absence d’amour provoque la frustration, l’incapacité d’aimer, la solitude et l’obsession du lolo. Motha le mène en
maître avec cette dérision qui lui fait commencer par des mots et intonations de flm de série B et glisser, en explicit,
un arrangement de Schubert.
Simone Dompeyre
Etienne CHAILLOU, Les oreilles n’ont pas de paupières, 8min (ENSAD, Fr.)
« La musique est le seul, de tous les arts, qui ait collaboré à l’extermination
des Juifs organisée par les Allemands de 1933 à 1945... Il faut souligner, au
détriment de cet art, qu’elle est le seul qui ait pu s’arranger de l’organisation
des camps, de la faim, du dénuement, du travail, de la douleur, de l’humiliation,
et de la mort... Il faut entendre ceci en tremblant: c’est en musique que ces
corps nus entraient dans la chambre. »
Pascal Quignard La Haine de la Musique
« L’oreille sans paupière », une telle proposition en rendant compte
de ce qui est, pour nous, évidence, brouille la particularité de
l’organe de l’ouïe et nous entraîne à regarder / écouter diféremment
voire à s’inquiéter.
L’incipit suit le décalage en inaugurant une série de cartons / tableaux blancs scientifques ou, du moins, se
référant à l’oreille, ces cartons s’égrènent, tout au long du flm. Ils tiennent la carte de la pluralité des savoirs sur
l’écoute, après le fonctionnement du signal sonore et de sa pénétration par le pavillon, jusqu’à la notion du cortex
via la transmission des vibrations par les osselets, une réfexion psychosociologique de notre conditionnement à
appréhender les sons et, pour mieux cerner les codes qui régissent notre manière d’entendre, un exemple celui de
la fanfare dont l’écoute nous induit à penser à la fête. Le texte énonce, ainsi, la non-naturalité de la réception du son
; de même, il décrit tel comportement provoqué par le rythme cependant l’espace sonore s’échappe de la sphère
savante en libérant une partition orchestrale enjouée et entraînante... L’image se forme à partir des roulement et
déroulement d’un simple fl blanc qui se démêle en silhouette de violoniste jouant, en accord avec la partition. Le
dessin au crayon glisse d’un musicien à l’autre, sans heurts, il forme une silhouette puis une autre puis un groupe
superposé ; il opte pour une image commune à tous ces hommes qui composent l’orchestre alors que la rotoscopie
garde la fuidité en accord avec l’harmonie musicale qui se poursuit en boucles souples et envol.
Le contrepoint naît en contre-champ… les hommes tapant dans leurs mains puis scandant le rythme de leurs pieds,
s’avèrent des ofciers nazis dont les bottes sufsent à les désigner avant que le plan en demi-ensemble ne les
décrive. Que ces pieds soient remplacés par ceux du chef d’orchestre doit prouver le pouvoir de la musique puisque
chacun obéit à son rythme ; alors le mouvement flmique révèle le lieu de la musique en introduisant le costume du
chef d’orchestre, le pyjama rayé, seul vêtement laissé aux victimes des camps de concentration, un des moyens de
détruire l’homme dans l’homme. Ainsi le mouvement de l’animation suit-il la même évidence que l’inscription des
textes ; la musique est souveraine. Un nouveau changement d’axe inclut, autre synecdoque, la victime rudoyée,
jetée à terre sous les crocs du chien, seulement tenu par le kapo. Tous les hommes crayonnés de blanc sur le noir
sont joueurs et/ou torturés: deux plaisirs afchés pour les mines réjouies des nazis. Nazis qui scandent l’air de leur
tête cependant qu’un texte cruel, par ce refet, afche une phrase minimale « la musique berce ». Dans la tranquillité
du texte explicatif, s’impose ce que nous aimerions oublier que l’on puisse être cultivé et bourreau, que l’on puisse
se plaire au rythme léger et à la vigueur de la destruction de l’humanité, quand nous préférerions imaginer que le
méchant est un sauvage hors de toute éducation.
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