Page 76 - catalogue 2017
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Projections 7. Vidéos nomades - Goethe-Institut



En prenant au sérieux ce qui n’est que jeu, les hommes se détournent du seul moyen de dépasser leur triste
nature d’humain, ce que Pascal, en 1669, voit en la divinité. En 2012, se divertir continue d’empêcher de se poser
les questions sur la réalité… dont celle dite de crise. Cependant, le retour à l’étymologie s’impose d’autant que
la première acception, fn du XVème siècle, dénotait une pratique fnancière de détournement ainsi se révèle un
héritage. « Distraire » s’avère une variation de soustraire, bien avant celle associée d’abord puis isolément, à plaisir
et à loisirs : distraire et se distraire.

Plus simplement et quasi inversement le jeu a une nécessité et un fondement sociaux : par le jeu, comme par le
conte, l’idéologie sous-jacente s’empare des esprits en formation. Le Monopoly entraînait à l’évidence d’acheter des
maisons et des immeubles au détriment des autres, ainsi ce nouveau jeu d’apprentissage à l’adresse de potentiels
futurs traders doit provoquer une même évidence de cette soif de spéculation rien de moins qu’intellectuelle. Ainsi
ce sont deux enfants qui s’animenst et applaudissent le fux fnancier. Deux enfants, garçon et flle, la parité est de
bon aloi pour imprégner de l’idéologie libérale. Bankenkrise en ses deux minutes ludiques rassemble le premier sens
de distraire l’argent – donné comme modèle aux enfants qui recevraient ce jeu – au second de prendre plaisir
sans se poser de questions et, mine de rien, glisse que ce sont les populations qui ont subi et subissent les à-coups
de ces investissements sur le rien ou sur du mauvais - métonymie des sardines avariées - qui doivent payer la note.
L’animation, c’est plaisamment sérieux.
Simone Dompeyre


Kika NICOLELA, ENTRE-TEMPS, 13min (Brés. / Belg.)

La vidéo-danse grimpe sur les murs, occupe la chaussée, fait de
l’entre-temps un autre temps.
Cf. isdaT, p.23












Ottar ORMSTAD, mooon, 4min36 (Cf. Les Abattoirs, p.69) et when, 7min (Norv.)

Dans l’intégralité du champ, sans distinction de mot ni ponctuation, mais toujours dans la même police de caractères
... pour un lire difcile car le temps passe, déjà, et que ce ne sont pas des mots mais en ligne diagonale, en verticale,
lettre unique lancée, lettre après lettre, des prémices de mots aussitôt enfouis dans des horizontales sans espace.
Le s monte en biais ; des syllabes sans signifé oi, ou à moins de vouloir y dénicher le sème de quelque déterminant
ou de conjonction mais sans substantifs ni verbe, ils éloignent la production de sens premier. when / quand - ce
titre reprend la rare implication claire de sens, celle du temps mais toujours sans proposition complétant cette
conjonction. Certes, se provoque tel ou tel fragment de phrase rudimentaire : pourtoitoujoursamour savourant le
plan entièrement, ou adieumonamour le saturant aussi, les deux en langue française dans cette vidéo d’un non
francophone, preuve de reprise de sons plus que de message ; de même, une espèce d’écho de titre de flm à
l’américaine borntobewild qui, elle suit des images de perte... Sont-ce des clichés liés à une langue / civilisation:
amour et bluette à la française, violence et idée de déterminisme à l’américaine... le flm s’en défend.

Pourtant, les lettres s’avèrent calligrammes en feur, quand les Y - déjà requis pour produire une forme de
véhicule - feurissent, mais la feur fane et tombe. Le Y résolument prolixe - Ottar Ormstad dit lui-même que le Y
jaune est un autoportrait, ce qu’il qualife d’écho dadaïste - se penche, se couche alors que des e sont jetés, ou
forment frise sur des voitures avec des m.
La vidéo éclate le signe verbal, elle distingue le signifant, opérant, par là, un écart d’avec la langue. Paradoxe, pour
qui se souvient du projet du calligramme, former le dessin du mot, écrire pluie en lignes diagonales ou faire poème
de la cravate et horloge dans des dessins référentiels.

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