Page 77 - catalogue 2017
P. 77

7. Vdéos nomades - Goethe-Institut Projections



Par ailleurs des objets reconnaissables y
sont signes visuels et des indices du réel;
voitures amoncelées, vestiges enfouis
sous les arbres, envahissent l’espace...
Un appel à la surveillance de notre monde
et de ses arbres - métonymiques de
la nature tout entière - dépasse-t-il le
projet de poésie concrète. Le poème du
signe en tant que signe s’engage sans
perdre de sa décision d’écriture, de sa
volonté d’écriture, mais comment oublier
le doux désir d’un monde naturel où les
arbres poussent et les feurs éclosent. Le
flm en enlace les deux référents, épaves
automobiles et graphèmes. L’incipit en
mouvement vertical quitte les cimes d’arbres dénudés pour le sol où s’entassent les véhicules abîmés... Le lieu,
une casse où reste intacte une jolie maison typique de la Suède, décrite dans la profondeur du champ d’un plan
d’ensemble alors que le premier plan impose voiture sur voiture. Celles que le montage alterné confronte aux lettres
en une cérémonie étrange puisque la musique dramatisante, en envolées pourtant, assène ce gaspillage de l’objet
et de la nature, en envolées pourtant.
La perturbation se dit par images glissées... Parfois un volet secoue le tempo, parfois une image venue d’ailleurs,
ailleurs géographique ou pas, secoue aussi cette accalmie étrange ainsi une image de corrida en négatif, ou bien
s’y invite comme le paysage de bord de place avec silhouette de jeune flle accroupie, aussi doucement que les
fondus au blanc.
Rarement aussi la couleur sauf pour les lettres où domine le jaune, sinon ce sont celles du temps passé quand la
DS, voiture si emblématique d’une époque que son constructeur l’a relancée sur le marché en 2011, retrouve son
usage dans quelques plans footage. Cette voiture désignée par la réitération de divers plans la captant sous divers
angles, exhibe un bleu brillant, mais le souvenir est aussitôt repoussé par le contrechamp de son épave près de
laquelle pousse un jeune sapin...
La feur de lettres reste droite dans sa répétition ainsi transformée et cette renaissance entraîne d’autres variations
dans l’alternance des icones, feur / DS bleue en amorce / lettres / un visage à le Belin / Pluie de y / le mannequin
exhibe sa perruque ébourifée et son absence de bras. Lignes de lettres où une verticale de a jouxte celle de flm
et celle de by, le même protocole de suites de lettres rédigées, le générique avec la signature de Ottar Ormstad et
les crédits pour l’animation et la musique ainsi que les remerciements.

Encore moins que jamais, décrire une œuvre vidéo ne fait entendre sa poétique... cependant la poésie concrète
se voit généralement accorder si peu d’espace, que s’imposait cet itinéraire à travers when... comme invitation «à
voir» cette poésie visuelle « concrète ». L’intrusion de la lettre dans sa réalité de tracé, porteuse de couleur, dans
le champ de l’icone référentiel peut se penser comme une pratique du collage, ce qui ouvre deux pistes: celle d’un
projet de supplément dans un langage - l’audiovisuel - qui a prouvé son indépendance et la reconnaissance de cet
ajout comme tel. Les deux ensemble mais séparés, pour un entre-deux adepte de la dissémination, fonds de notre
époque. La lettre est partie intégrante de l’écriture du poème numérique mais elle reste « elle », sans obligatoirement
composer un vocable.

Par ailleurs, les espaces de when ne sont pas que du vide, ils impliquent un regard de vigilance sur le monde
cité. En l’occurrence la forêt des arbres transformée en lieux des voitures abandonnées sans explicitation, dans
l’emportement de la musique sérielle composée spécialement par deux Norvégiens Hallvard W. Hagen et Jens P.
Nilsen, connus sous le nom de Xploding Plastix, pas plus que la réitération de ces plans de la casse, ne dénote ni
n’exalte la vitesse. when provoque ainsi un étrange renversement de l’origine futuriste de l’éclatement de la langue
où certes l’amour, dans un refus d’un élan romantique trouvait un espace expressif et impressif mais où la matière
et la machine s’imposaient comme thèmes prédominants et triomphants.

Ottar Ormstad pense la vidéo comme une immédiateté qui, à la fois, détourne du propos et privilégie la matérialité
du langage - la lettre comme tracé, le visuel du graphème. Il sait lancer un déf au regardeur en réunissant des
mots de langues diverses, ce qui entraîne des expériences de lecture fragmentaires et refuse qu’une langue écrase
les autres. Il cherche dans le langage sa force du signifant, pourtant demeure en ce poème audiovisuel une force
signifante, des échos amoureux y compris pour la nature.

Simone Dompeyre
75
   72   73   74   75   76   77   78   79   80   81   82