Page 82 - catalogue 2017
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Performances 1. Espace lll Croix-Baragnon


Brigitte BAUER, Film Camera, 11min52 (Fr.)
Accompagnée de Coline BOUTON et Éléonore MARMORET, chant baroque (Tlse)

« En matérialisant le spectre impalpable qui s’évanouit aussitôt qu’aperçu. »
Nadar
Une performance de cinéma élargi dont les images viennent de
sténopé.

Les mots savants formés sur le latin ou le grec portent en latence,
leur défnition : le sténopé réunit l’étroitesse : stenos / étroit, serré,
celle du trou à ménager dans une paroi et ôps / œil qui forme de
l’optique à l’ophtalmologiste. Ainsi désigne-t-on le système le plus
élémentaire pour produire une image par le passage de la lumière
à travers un très petit orifce. Avant notre ère*, se décrit ce qui plus
tard reçut le nom de « chambre obscure / camera obscura » mais
pour tenir en main, un sténopé, il a fallu attendre l’enregistrement et la fxation sur un support. Cependant, sans
appareil, une image peut naître. Prendre une boîte, en trouer un côté avec une aiguille. Coller un papier photosensible
sur la paroi opposée avant de fermer la boîte. La poser devant l’objet désiré puis développer le papier détaché du
fond. Une image de l’objet y paraît.

Cela ne suft pas à faire expérimental. Expérimenter des systèmes n’est pas synonyme d’art expérimental, même
si doit se répéter, longtemps après Léonard de Vinci, que l’art est « cosa mentale » i.e de l’ordre de la pensée alors
que le matériel forme l’idée.
Le projet photographique à traduire par « écriture par la lumière » devance et ne se dilue pas dans la pratique
mécanique. Joseph / Nicéphore Niépce écrivait à son frère Claude, son désir et ses tentatives de « peindre par
la lumière » et la difculté d’en garder une trace « gravée ». En mai 1816, il mentionne une avancée « je vis sur le
papier blanc toute la partie de la volière qui pouvait être aperçue de la fenêtre et une légère image des croisées
qui se trouvaient moins éclairées que les objets extérieurs. ». Ce sont prémices aux essais des toits cadrés depuis
l’angle de la fenêtre du premier étage de la propriété comme « points de vue d’après nature » reconnue comme la
première photographie en 1826. Sauf à retenir, avant 1825 – ce que d’aucuns repoussent d’une dizaine d’années
voire refusent - La table servie qui adoptait l’allure d’une nature morte.

Désormais, l’artiste photographe peut autant que le peintre changer son volatil, il peut opter pour le matériel le plus
sophistiqué ou revenir à cette quête plus hasardeuse de la trace évanescente et en maîtriser totalement la résultante.
Film Camera soutient cette gageure en une inattendue rencontre numérique / sténopé qui confond translation des
manières, des techniques et des temps. Brigitte Bauer l’a réalisé en montant des photographies numériques qu’elle
a prises depuis un abri de jardin ainsi transformé en camera obscura. L’appareil photo y devient caméra pour « faire
un flm avec ce qui échappe à l’enregistrement flmique direct dans la boîte noire trop peu lumineuse ; une façon de
donner les images au mouvement. » commente-t-elle.

Ce soir-là, l’acte devint performatif, sous le grand portique couvert, le dispositif cinéma élargi avec chants a cappella
entraînant à y regarder de plus près. Sur le mur, des images évanescentes, des images aux contours estompés, celles
d’un espace peu défni en couleurs peu contrastées où des personnes évoluent comme au ralenti, en mouvements à
la fois fuides et happés, ce qui leur donne des airs de danseurs. Le grain du mur s’associe à celui très prégnant du
plan mais la reconnaissance de plis verticaux dénote le drap blanc bien repassé d’une première projection.

Mise en abyme soutenue par deux voix féminines, que jaillissent face à l’écran, en vagues soutenues. Elles fondent
une forte temporalité d’un ici maintenant, par l’« Esurientes » et deux versets de l’ « Ave Maris Stella » des Vêpres à
la Vierge de Monteverdi; Quatre lettres de La Troisième Leçon des Ténèbres de Couperin et plus ancien encore, en
canon, le grégorien « O Virgo Splendens » du Livre Vermeil de Montserrat. Voix jeunes et puissantes, en duo d’aigus
et de plus graves, elles exaltent ce moment qui devient éloge de la quête de l’image des hommes par la quête de
la beauté en musique.
*Au V ème siècle avant notre ère, en Chine, Mo Ti décrit la projection du monde extérieur sur le mur d’une chambre obscure, à travers un
petit trou ménagé dans le mur opposé. Au X ème siècle, Ibn Al Haitham ajoute que la netteté de l’image projetée dépend de la grandeur
du trou. Le mathématicien arabe Al-Farizi au XIV ème , Léonard de Vinci au XVI ème énoncent un même principe de base pour des images qui
par saisie optique de la lumière, « reproduisent » un fragment de la réalité.

Simone Dompeyre
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