Page 97 - catalogue 2017
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1. Espace lll Croix-Baragnon - L’Enseigne de Gersaint Photographies
Yvon BOBINET, Airs de façade / Dedans (Fr.)
Des corps fragmentés et dédoublés, fgés dans des attitudes
crispées, vibrent dans des halos rouges et verts. Des lunettes sont
à disposition pour une expérience stéréoscopique ; les volumes
surgissent alors, ici un coude, là une main. L’expérience échappe
toutefois au divertissement. Le regard haptique génère une
proximité troublante avec ces corps qui ne s’humanisent jamais
complètement. La tension de leur posture les emplit d’émotions,
mais leur immobilité et l’absence d’expression des visages en
partie cachés évoquent les poses détachées des mannequins. Les
portraiturés sortent du cadre et s’animent sous l’efet des fltres,
tout en restant de marbre. Ils semblent pétrifés.
Est-ce par leur double, telle Méduse découvrant son refet dans
le bouclier de Persée ? Une inquiétante étrangeté s’installe,
générée par la fgure du double et de l’inanimé qui prend vie. Les
photographies d’Yvon Bobinet et le dispositif de vision auquel il
nous invite à participer engagent une relation complexe à l’image
d’autrui, entre proximité et distance, volume et surface, chair et
apparence. L’ensemble questionne autant l’image que le regard,
ou plutôt la relation que tous deux entretiennent : une simultanéité
qui jamais ne s’accomplit.
Céline Henry
Et lui dit : « Airs de façade (miroir sans tain) est un autoportrait. Pourtant
je ne m’y montre pas car l’apparence n’est pour moi qu’une mince
pellicule de peau qui sépare le « dedans du dehors ». Avec plus ou
moins de porosité. J’essaie donc de m’imaginer à travers le fltre
d’une mise en scène, d’un dispositif plus proche de la poésie que
de l’enquête. Ce travail n’est pas une photo d’identité, ce n’est pas
non plus le résultat d’une analyse sur moi –même. Je ne cherche ni
à trouver des réponses ni à en donner, encore moins des vérités. Je
tente certainement d’apaiser mon corps et mon esprit en mettant en
images des parties qui constituent mon existence, des fragments de
vie, mais d’une façon ou d’une autre, n’est-ce pas une entreprise qui
concerne tout un chacun, qui questionne notre intimité et notre rapport
au monde ? »
Par ailleurs,
Les lunettes d’Yvon Bobinet sont taillées dans le bois, pour l’œil
gauche du rouge, pour le droit du vert, deux complémentaires. En efet, certaines couleurs sont invisibles à travers
un fltre coloré donné et chacune de ces couleurs occulte une part de l’image… le système vise à reproduire la
vision humaine : nos yeux ne voient pas exactement pareil, c’est le cerveau qui calcule le relief, il faut ainsi décaler
la prise de la photographie pour parvenir à cet efet de relief, du moins prendre deux images du même élément en
léger décalage avec un appareil à deux objectifs ou en couplant deux appareils à déclencher en même temps. Et les
lunettes spéciales ou le stéréoscope rendent à chaque œil la photo nécessaire.
D.S
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