Page 98 - catalogue 2017
P. 98
Photographies 1. Espace lll Croix-Baragnon - L’Enseigne de Gersaint
Corinne AGUSTIN, Déclaration silencieuse (Fr.)
C’est la photographie d’un visage sous l’eau. Le plan est rapproché,
on distingue la tête et une partie du buste, sous les remous causés
par le soufe et par l’immersion du corps. Le fond clair suggère
un faible volume d’eau. Un jeu de surfaces est à l’œuvre : surface
agitée, visage brouillé, sous la surface lisse et plate de l’image
photographique. La photographie pourrait portraiturer Narcisse,
qui, dans le mythe narré par Ovide, se noya après s’être épris de
son refet dans la source pure et paisible. Le voilà de l’autre côté,
sous la sur-face, dans une épaisseur aqueuse qui dissipe ses traits.
Alberti envisage Narcisse comme l’inventeur de la peinture, car
« qu’est-ce donc que peindre, sinon embrasser avec art la surface
d’une fontaine ? »
Corinne Agustin semble, en efet, se livrer à une étreinte avec le
visible, avec une réalité banale rendue crue par la proximité de
l’objectif. Embrasser la surface de l’eau revient aussi à troubler
l’image qui s’y réféchit, à déconstruire l’illusion pour rencontrer la
matière et la profondeur de son « au-delà ». Les photographies de
Corinne Agustin sont tour à tour brûlantes, humides, spongieuses,
froides… elles transmettent de manière haptique, tactile, la matière
d’un quotidien, dans une Déclaration silencieuse que seule la
photographie parvient à exprimer.
Cf. Musée des Augustins, Toucher, p.82
Céline Henry
Laura BONNEFOUS, Relics (Fr.)
Il est commun de dire qu’une photographie rend la présence
de celui qu’elle portraiture, d’autant que c’est son usage
social… Pourtant dans les portraits séparés par d’autres fgures
prolongeant l’étrangeté de leur abord, s’immisce une distance
attirante. De jeunes personnes hommes et femmes, torse nu ou en
vêtement simple – l’heure n’est pas à la photo de mode; genre que
Laura détourne ailleurs, avec piquant – posent, avec d’étranges
accessoires dans l’incongruité absolue.
Sans titre autre que celui désignant leur particularité, ils deviennent
l’homme à la lampe quand métallique, elle occulte son visage
/ la femme à la clef plate et la femme aux poissons dans le
détournement du regard, pourtant considéré comme l’indice le
plus personnalisant. Tous en sont fascinants. Très loin de l’univers
robotique, ces êtres hybrides font pourtant signe vers un a-humain.
Êtres prothétiques.
Cependant l’univers de Laura Bonnefous s’éloigne des expériences
à la Stelarc – troisième bras ou connexion technologique le dirigeant
– les éléments rajoutés ne sont pas des succédanés d’impossibilité pour l’humain ; ils ne visent pas à lui donner des
capacités surhumaines tout au contraire, ils sont fragiles. Ils interdisent que l’on réduise l’image à une ressemblance
voire à une identité avec son référent. Ces portraits insufent que l’image compose un autre que celui qui fut derrière
l’objectif… que l’image est trace – Relics les nomme l’artiste – qu’elle est monde fottant entre l’être et son absence.
Simone Dompeyre
96