Page 93 - catalogue 2017
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8. Les Abattoirs Performances



La topographie sociale en est issue : si les jeunes seigneurs médiévaux étaient envoyés comme pages puis
écuyers chez leur oncle ou un feudataire, dans certaines campagnes, les adolescentes faisaient un « stage » chez
la couturière, formation qui débutait par le « ramassage des épingles » et qui les autorisait à aller au bal alors que
les épingles pouvaient être aussi un cadeau des garçons. Plus généralement, et encore dans la moitié du siècle
dernier, la flle doit savoir coudre, tricoter, repriser, broder, ce qui se résume en « travaux d’aiguilles ». Ceci s’avère
un quasi rite de passage que l’ethnologue Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, avait découvert dans
de nombreux contes oraux, où la petite flle envoyée dans les bois, lors de sa rencontre avec le loup, doit choisir
entre deux chemins, celui des épingles et celui des aiguilles. Les variantes se contentant d’appeler diversement
ces outils-là voire les remplaçant par des épines ou des roses, étrangement puisque les deux s’avèrent piquants
ou blessants. Le choix est parfois justifé ; quand la flle choisit le chemin des épingles, c’est parce qu’on peut avec
elles « s’attifer (contrairement aux) aiguilles avec lesquelles il faut travailler» ou au contraire, précise que c’est « pour
raccommoder sa robe qui est trouée. »
Sans entrer dans l’inventaire des métaphores sexuelles, celle rattachée à la menstruation ou à la relation amoureuse,
il suft de se souvenir que « l’enfle aiguille » a eu de nombreux couplets de chansons égrillardes.
Anne Monjaret du CNRS, Centre de recherche sur les liens sociaux, démontre en rassemblant par ailleurs, un
corpus aussi fourni qu’intelligent, que « Les épingles, les aiguilles et les autres objets piquants de formes similaires
(épine, fuseau, boucle d’oreille) appartiennent au domaine féminin. Instruments de magie et de sorcellerie, outils de
travail (tricoter, broder, fler…), objets de parure et de protection, ils ont des fonctions multiples. La jeune flle devra
apprendre leur langage, faire la diférence entre celui des épingles et celui des aiguilles, celui de la préparation à la
sexualité et celui de la sexualité. »
Jisoo Yoo renverse l’obligation faite aux flles de se conformer à la règle : elle coud quasiment nue voire son vêtement
afche qu’il ne tient pas à cacher le corps, il le modèle.
Elle coud longuement, cherchant le chas de l’aiguille, y passant le fl, tirant sur lui, le cherchant dans le petit tas
entre ses jambes…et recommençant. La broderie est certes souvent une métaphore habituelle du temps et les
performances de Jisoo Yoo le réclament… il faut du temps pour déconstruire le modèle imposé en inversant sa
pratique. Elle ne coud pas des vêtements auxquels elle ôte la fonction de revêtement, de cache pour en composer
une sculpture mobile de tissu changeant selon le tirage des fls qu’elle en fait. Elle produit de tels mouvements en
cousant et les vêtements s’animent, sursautent, se tendent…
« Je couds les vêtements à mon corps, l’aiguille perce l’étofe, les fls créent des traces, la couture crée des rapports,
et la forme s’invente de ce tissage en mouvements parents de ceux des marionnettes. Les vêtements dansent avec
ma couture. »
Ainsi en en cousant, elle se fait maîtresse des vêtements imposés et pour preuve de cette maîtrise, elle prend les
ciseaux non plus pour couper le fl mais déchirer son propre collant depuis le col jusqu’à la taille puis au pubis et
elle s’en détache. Laissant sa chrysalide accrochée, dont le rose-corps refuse la blancheur générale du blanc.
L’esthétique du blanc est une constante du travail de Jisoo Yoo qui en renverse le symbole du beau, du pur, du sans
tache que lui attribue notre société occidentale.
Le collant désormais accroché par toutes les coutures premières à tous les vêtements, devient petit animal suspendu
alors que la performeuse nue s’est levée, libérée de l’obligation de coudre, et traverse sans mots le public renversé
de son audace calme si assurée.
Simone Dompeyre



9. Impromptu musical


Baroque / expérimental : une rencontre plus que
probable, indispensable, pour preuve, les réactions aux
écoutes et visions de ces deux manières d’aborder le
chant, l’image et dont les compositions dépassent
la ligne droite, aiment la translation. Le bonheur a été
grand de réunir, enfn, après 19 ans, ce qui sourd dans
de si nombreuses pièces programmées dont le montage
retient en son, le baroque. Il fallait obligatoirement vivre
directement cette relation amoureuse amoureusement,
en la faisant partager dans la rue… non pas en une
pratique faite pour la rue, mais en ouvrant à la rue cette
pratique trop hâtivement jugée réservée à un groupe.
91 Place de la Bourse, Toulouse
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