Page 96 - catalogue 2017
P. 96

Photographies 1. Espace lll Croix-Baragnon - L’Enseigne de Gersaint


L’Enseigne de Gersaint - Le refait en photographies





















Le salon de photographies, comme on dit le salon des peintures, en deux pans de mur reprend les manières
originelles des expositions des tableaux, dessins et gravures dans la rencontre des genres : portraits y compris
les royaux et tableaux d’Histoire, paysages, nus mythologiques, œuvres religieuses, et ce, dans les premières
boutiques d’art avant les salles des musées. Un tableau atteste cette option celui de Watteau qu’il peignit en 1720,
pour « se dégourdir les mains » et pour le marchand d’œuvres d’art et d’estampes Gersaint – ce qui explique le titre
L’Enseigne de Gersaint. Vendeurs, acheteurs et un portefaix y tiennent chacun leur fonction, un chien s’épouille dans
la rue sur les pavés de laquelle ouvre directement le magasin. C’était bien avant le projet de cube blanc et d’une
œuvre par mur voire par salle.

Traverse Vidéo dans la gageure de retrouver des œuvres de ses dix-neuf ans et de les assembler / confronter avec
les dernières sélectionnées refait un à la manière de L’Enseigne dont, en clin d’œil, une reproduction est posée sur
un siège de velours baroque. Y faisant face, en manière plus habituelle, un troisième mur se dédie à Airs de Façade
d’Yvon Bobinet mais c’est en un autre entrelacement celui de pratiques photographiques.
Lui expose huit anaglyphes parfaitement carrés 50 cm sur 50 qui, encadrés avec une profondeur de 6 cm, très
nettement, se superposent en deux rangées de quatre.

A la manière de l’enseigne : onze artistes, onze échos d’édition: Marion Zilio et Être / devenir, Corinne Agustin et Le
sens... les sens, Béatrice Utrilla et L’Écrit dans le champ, Marjolaine Grenier et Sens du Lieu, Lieu du sens, Céline
Henry et Ça vaut la peine, Dorothy Goizet et L’Etat du Monde, Liliplasticienne et Processus, Myriam Ramousse et
Faut voir, Victor Sydorenko et La Revisite, Kumi Oguro et Laura Bonnefous et L’atypique trouble…
Qui disait que la photographie était éminemment référentielle, la reconnaît comme plasticienne, qui la voit mécanique,
la reconnaît comme trace du regard compositeur.

Du sténopé sur feuilles de carnet volée ou sur calendrier, à l’image numérique, grandes et petites, encadrées ou
pas, sur divers supports, elles trouvent un espace de réunion, deux seulement en symétrie, les autres en écho qui,
par la touche bleue, qui par le visage penché, qui par le motif animalier, qui par la métaphore de l’oppression, qui
par la question de l’évanescence de l’image ou au contraire par l’espoir mémoriel par la photographie. Mémoire
par photocollage grand format où les mots se tressent aux fragments d’échos d’images avec un afectif efet
d’autrefois. La beauté efrayante d’animaux poisson, oiseau sous de la cellophane ou du plastique prêts pour le
salon des curiosités. La brillance d’un bleu issu de pièces en décombres et en semi obscurité… Deux photos textes,
la réclamation du premier plan à lire. Des palimpsestes échos d’une question du temps et du sens du temps et de
l’Histoire; de la temporalité hors temps d’un hôpital désafecté. Des scènes refus de scènes ou germe de narrativité.
Et des portraits, nombreux, preuves de l’ancrage de l’humain de la manifestation : portraits mais non images sages,
entraînés en des efets de morphing des années 2000, celui narratif en latence des douleurs subies associé à une
poupée salie, ceux aux visages cachés par une chevelure luxuriante, par une lampe ou des pinces brillantes, de
grands yeux écarquillés ou un regard ailleurs…

Trente photographies tissent un texte paradoxal avec incise, arrêt, appels, échos ou inversion. Telle orientation ou
telle couleur, tel motif ou telle ligne, tel fond vide ou tel signe marqué, en efet, font syntagme, et le regard est plus
mené par les lignes de force ainsi dessinées qu’il ne décide son parcours. La photographie dirige.

Simone Dompeyre
94
   91   92   93   94   95   96   97   98   99   100   101