Page 58 - Catalogue_Traverse Vidéo_2018
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Projections isdaT
à la tapisserie colorée, années 1960, à la rampe d’escalier ouvragée, sans doute,
l’habitat de la direction de ses lieux.
Le silence n’est, cependant, pas accordé à la visite puisque une musique sourde,
répétitive mais qui refuse le facile anxiogène – le film n’est pas d’horreur – n’autorise
pas la contemplation esthétisante d’une poésie des ruines.
Mais l’esthétique de la mémoire en acte : couloirs larges avec arcatures en ogive
traversés, plus étroits amoncelant les gravats vus de leur entrée, barreaux qui
transforment les étages en prison captés en contre-plongée, rares dessins
appréhendés en légères saccades, carrelages suivis, végétation brillante colorant
l’espace ou graffiti obscènes au-dessus des anciens lavabos, les éléments sont pris
en leur lieu et selon ce que leur emplacement offre comme possibilité de prises de
vue… ainsi tel passage en caméra portée oscille, tel chariot pour malades est capté
dans la profondeur du champ.
Ce faisant, la main actuelle entrant dans le champ, par deux fois, pour attraper telle
page manuscrite, feuilleter tel texte imprimé ou approcher le dossier avec index
et pages du Nouveau Testament, atteste de l’engagement de l’artiste dans cette
« histoire à contretemps » selon l’éclairante formule de Françoise Proust. Revenir à
ces lieux pour donner Histoire à ceux/celles qui y furent détenu/es sous des prétextes
de morale et de diktats religieux, plus précisément catholiques comme le dénote la
statue de la Vierge saint-sulpicienne, intacte dans le jardin.
Le générique énumère les lieux de tels
enfermements : « l’asile » qui longtemps a
accueilli/enfermé malades et vagabonds ou, en
une métonymie les indésirables ; « la blanchisserie,
l’école professionnelle et la maison de travail
(obligatoire) » où ces détenu/es travaillaient
gratuitement.
Le film fait des décombres, leurs traces.
Pour paraphraser Deleuze, réclamant dans
L’Image-Temps, à « l’art cinématographique […]
non pas [de] s’adresser à un peuple supposé,
déjà là, mais [de] contribuer à l’invention d’un
peuple » reconnaître à Melanie Menard d’inventer
ces innommés, s’impose.
L’artiste dit : « Dans Surveiller et Punir, Michel
Foucault définit les "Institutions Disciplinaires"
comme des lieux où l’homme est rendu obéissant
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