Page 73 - Catalogue_Traverse Vidéo_2018
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isdaT Projections
dans l’art ? Elle qui est une inconditionnelle de la musique et pas seulement improvisée,
mais contemporaine et aussi populaire. Elle qui se passionne d’ailleurs pour les arts
populaires, tels que le flamenco ou l’art brut. L’explication semble toute simple, car
il semblerait que c’est finalement l’acte de performance qui a poussé cette artiste à
faire de la vidéo. Au départ, il s’agissait en effet d’effectuer une captation à la place
du vidéaste absent. Ce vidéaste, Cristobal Rio l’aurait même confortée en lui disant
qu’après tout, c’était bien à elle de s’en charger, étant donné qu’elle s’y connaissait
en danse. D’après lui, elle avait l’intelligence de ça, à force de regarder des corps.
Elle aurait forcément l’intelligence du regard. Au final, il ne croyait pas si bien dire, car
la danse toute personnelle de Camille Escudero se trouve dans son œil. C’est dans
l’œil qu’il y a une chorégraphie qui se prépare, une chorégraphie mentale mais aussi
et surtout une chorégraphie du regard. La vidéo était le seul médium qui au final
pouvait vraiment la passionner (mais la passion [...] est un mot trop fort, trop tragique
pour elle, qui préfèrera évoquer le mot « dada ». « Le dada c’est plus léger et on peut
monter dessus », dit-elle avec malice !) et satisfaire un tant soi peu son inquiétude.
Le seul art, le seul endroit où pointait le désir de Camille Escudero était dans le regard,
mais elle ne s’est pas contentée de regarder, c’est-à-dire de faire une captation avec
son outil mais elle a continué de danser, elle a fait danser autrement, elle a pris la
chorégraphie de l’autre pour en faire un nouveau mouvement qui serait alors un
moment vidéo bien à part. Car pour elle, regarder un corps c’est forcément voir une
image et donc regarder un corps c’est faire de l’image. Elle est devenue fabricante
d’images, mais par petites touches, une façonnière du quotidien, une artisane du
regard, comme si elle voulait noter avec son œil, comme si elle voulait écrire avec
son œil et non avec ses doigts, comme si elle voulait mesurer l’air et le mouvement
dans cet air non pas avec sa pensée et ses mains mais avec son seul œil, comme
si elle voulait noter le quotidien avec son seul œil. Elle avait une intelligence de l’œil
dans la danse et il a fallu qu’elle trouve sa danse à elle et l’a trouvée grâce à la vidéo.
Grâce à la vidéo, elle a su capter les gestes répétitifs, les petites actions du travailleur
ébéniste ou les gestes quotidiens des
gens qui se rendent en métro à leur travail.
La captation ce n’était pas pour elle, car
pour Camille Escudero, la captation c’est
la possibilité pour le spectateur, pour le
programmateur, de ne pas voir la danse
en vrai, c’est la possibilité de ne pas se
déplacer pour voir la danse, voir les corps,
mais les voir de loin, ne pas toucher la
danse et Camille Escudero ne voulait pas
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