Page 76 - Catalogue_Traverse Vidéo_2018
P. 76

Projections  isdaT

Elle et la poule, puisqu’il s’agit de sonorité, est peut-être à lire comme « elle est
la poule » ; cette définition dépréciative appartient à la longue liste avec laquelle la
société masculine/machiste a épinglé les femmes.

La vidéo performative imite le défi lancé par d’autres actions politiques, qui consiste à
renverser l’insulte en la prenant comme appellation patentée.

La femme en robe moulant un corps sans faute, d’emblée par ce vêtement adopte
cette stratégie de riposte ; longtemps voire encore aujourd’hui, l’attaque contre
les féministes les réduit à l’obligation de laideur, ce seraient autant de « laides mal
baisées. »

Elle, en robe rose en satin brillant, années 1950, d’autant plus indicielle qu’elle est
portée dans les ruines d’une maison de campagne envahie par les plantes, efface les
clichés. La vidéo qui participe au projet DOLLHOUSE1, dont le nom antiphrastique
annonce la couleur, pervertit l’attente ; son incipit faisant mine de découvrir cette
maison de pierres abîmée mais esthétiquement filmée, sous la brume la poétisant,
ainsi que l’environnement jusqu’à décrire la perle de rosée sur feuilles et branches.

En fondu, inattendue, la jeune femme vient selon le mode d’apparition : lieu vide,
lieu occupé et lieu vide lorsqu’elle disparaît en fondu inverse. Rien ne justifie sa place
en ce lieu, ce n’est pas une promenade à la campagne, pas une narration mais un
apologue.

La jeune femme, natte bien coiffée autour de sa tête, sourit ; le gros plan dirige vers ses
mots très vite prononcés. Ils sont l’ouverture d’une litanie de « non, je n’ai pas peur »
qui, au-delà de l’exorcisme, fait état de la décision de réagir, de riposter, de refuser le
statut de victime – manière adroite de cantonner la femme à un statut d’infériorité. Le
plan reste fixe sauf pour de rares changements, tel court travelling vers la poule à son
tour en gros plan, tel plan des pattes à hauteur du sexe ; montage en accord avec la
stratégie d’antiphrase qui fait mine d’accepter l’assimilation femme/poule.

Regard adressé, sans ciller des paupières, elle réclame que la femme puisse faire
certains gestes sans être accusée d’ambiguïté comme manger une banane, boire un
verre, s’habiller en jupe courte sans que cela justifie un viol, « être à poil », dire « oui »,
reconnaître « les cochons » avant de refuser… Elle inverse les accusations faites à la
femme qui a subi des violences sexuelles.

Elle, elle revendique d’être un être et non un objet de désir. Elle accuse le violent qui
ne retient pas ses coups sous l’effet de la boisson et le violeur.

Elle n’a pas peur des mots, la « déchirure du sexe » et le « forçage du sexe » sont

1 DOLLHOUSE est une collaboration multidisciplinaire entre Manon Oligny, chorégraphe, une compagnie
de théâtre : Bye Bye Princesse, toutes deux du Canada et l’artiste-cinéaste Kika Nicolela, brésilienne vivant
en Belgique.

76
   71   72   73   74   75   76   77   78   79   80   81