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Cinéma ABC Projections
moi, et numérisées avec un appareil photo hybride. La bande audio rassemble
différents sons et enregistrements de terrain que j’ai collectés au fil des ans, que ce
soit en Mer Adriatique ou des oiseaux de l’île Maurice ou encore une vieille horloge
du château de Chantilly ; s’y entendent également des segments de “sonorisation
solaire” de la NASA – capable d’enregistrer le “son” du Soleil – et au dernier
moment de la vidéo se glissent des fréquences Beta et Delta. »
Simone Dompeyre
Paulo Aureliano Da Mata, Wild Heart
6min37 | Portugal
He was alone. He was unheeded, happy, and near to the wild heart of life. /
Il était seul. Il était abandonné, heureux, près du cœur sauvage de la vie.
James Joyce, Portrait de l’Artiste en jeune homme
Après un voyage en Turquie et un échange avec un
autochtone – « Grâce à Allah, je suis né à Göreme
et pas dans une des villes près d’ici. Pour ça, je suis
la personne la plus heureuse du monde » – Paulo
Aureliano Da Mata, guidé par le questionnement
de cette condition aléatoire « Je nais et je vis à tel
endroit, à tel moment », collecte au fil des ans des
fragments filmiques, captations en Super 8 et des
enregistrements audio du quotidien, d’éléments
en apparence triviaux – le son d’une horloge, une
fenêtre ou un robinet laissé ouvert. S’y entremêle la référence à la Turquie, par le
service à thé, objet-fétiche offert à l’artiste, qui, dès le panneau, en incipit annonce
« Elma Çayi que Marca Meu Destino/L’Elma Çayi [thé à la pomme turc] qui marque
mon destin ».
La caméra capte d’abord la fenêtre, la scrute non pas par volonté voyeuriste
inversement à Fenêtre sur cour d’Hitchcock, mais davantage afin de signifier la
frontière intérieur/extérieur. De cette lucarne, par laquelle seul transparaît le ciel,
pénètre la lumière extérieure qui dessine sur les murs des motifs semblables aux
grilles d’une cage. Une mouette rieuse jaillit, narguant de sa liberté, l’espace clos.
Paradoxalement, si l’image se tourne vers l’extérieur, elle suggère l’ancrage dans le
lieu de vie, intime, qui parfois devient cellule.
En leitmotiv, le fenêtre se décline comme l’espace d’une nature morte de fruits :
pommes, plante d’intérieur et quelques toiles d’araignée devant la vitre d’où
s’entr’aperçoivent les « vagues de toits » de Porto, en écho possibles de la prose
baudelairienne. La nature morte – le still life/la vie statique ou le « encore vivant » –
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