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Projections  Cinéma Le Cratère

interventions dans Vanity Fair à l’hommage de Diane Keaton.
Je confronte ce discours élogieux aux mots d’une survivante de l’inceste, trop
souvent remis en cause pour « manque de preuve ».

                                      Le 2 février 2014, je découvrais, sur les réseaux
                                      sociaux, la violence des réactions à la suite de la
                                      publication d’une lettre de Dylan Farrow accusant
                                      de viol Woody Allen. À la même période, j’étais
                                      stagiaire psychologue dans un hôpital de jour pour
                                      adolescents et je participais aux entretiens d’une
                                      adolescente violée par son beau-père, dès son
                                      arrivée en France, à l’âge de 9 ans et jusqu’à ses
                                      13 ans. Grâce au signalement d’une travailleuse
                                      sociale, le beau-père avait été incarcéré et le procès
était en cours tandis que nous recevions la victime pour son premier entretien.
Grâce à cette expérience d’écoute, l’histoire de Dylan Farrow me parut, sur un
plan médiatique, emblématique. En effet, les paroles des survivants d’agressions
sexuelles interrogent aussi notre capacité à accueillir l’événement traumatique dans
les perturbations qu’il génère en nous, à les croire et à comprendre les troubles
ainsi provoqués. Dans l’hôpital de jour, lors d’une réunion d’équipe, j’ai entendu
une psychiatre, extérieure à l’association qui recevait l’adolescente, s’étonner de ce
que les tests n’eussent relevé aucune anomalie neurologique et formule le projet
d’en prescrire de nouveaux avant même que l’adolescente ne rencontrât son
thérapeute, psychologue et psychanalyste. Elle argumentait que les perturbations
de l’adolescente s’expliquaient par une lésion cérébrale et non par la violence de
l’inceste. Ce qui était une façon de refuser de croire ce que Pattie O’Green nous
apprend de l’inceste, c’est-à-dire qu’il est un trou noir, qu’il « fuit l’appréhension
de l’imagination. À peine commence-t-on à le voir que l’image s’effondre dans des
douleurs musculaires, des spasmes et des nausées, mais c’est précisément comme ça
qu’on peut se “l’imaginer”. L’inceste est dans le corps qui met tout en œuvre pour
le rejeter, pour ne pas voir ses images. » L’incompréhension de cette psychiatre
mettait en lumière la tentation de dissocier les perturbations de l’adolescente de
l’événement traumatique, dissociation inhérente au trauma. Or rencontrer une
incestuée perturbe. Dans le cas de la psychiatre, qui pourtant achevait une thèse,
savoir le viol était si perturbé qu’un test neurologique pouvait tout régler.
Après la découverte de l’histoire de Dylan Farrow, je me suis plongée dans la
lecture de ses adresses publiques relayées par la presse : ses propos rapportés par
une journaliste de Vanity Fair, la lettre à l’origine de sa condamnation sur les réseaux
sociaux en réaction à l’éloge de Woody Allen que prononça Diane Keaton lors

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