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Cinéma ABC Projections
disparaître. Une de ses anciennes encres dont l’écoulement
suggère l’arbre d’autant qu’il vient de sa main qui en est
« amoureuse », garde dans cette approche vidéo – elle aussi,
par définition, écriture du passage – le format vertical du
tableau pourtant plus topiquement accordé au portrait. Ainsi
l’arbre y gagne en majesté sans perdre l’humilité du noir et
blanc, sans recours aux riches frondaisons ni au chatoiement
des couleurs… Noir et blanc qui, cependant, aussitôt, efface
la velléité d’un écho des films des années vingt qui eux,
effrayaient par des ombres sur l’eau de la rivière, ombres des
arbres et d’êtres revenus de l’autre côté de la mort car le soleil
traverse le tronc, le transfigure en éclats rayonnants et alors
que l’emportement par la musique aux accents sacrés, aux
phrasés qui se souviendraient de Bach, provoque la sérénité
heureuse.
Ainsi le temps n’agresse pas, il passe ; le grand arbre s’efface dans la déréalisation,
dans l’abstraction, toujours en lumière, glissant de la luminosité au blanc, au sans
forme arrondi puis vers le sans image. Ensemble, les accents choraux glissent
en decrescendo, dont la coda s’éteint sans laisser d’inquiétude. Le mouvement
paradoxalement donne force à toutes les fragilités quand il porte la lumière.
L’artiste dit : « Cette vidéo plus ancienne figure le fugitif, le transitoire, le fugace.
Elle part d’un de mes tableaux à l’encre : barrière d’arbres dont les feuillages
semblent transpercés par un rayon de lumière ; qui longtemps immobile, petit à
petit, se modifie.
Imperceptiblement le regard est accroché par l’augmentation de la luminosité de
la lumière dans le noir de la frondaison des arbres. D’un simple rayon vertical,
celle-ci envahit lentement l’image jusqu’à la faire disparaître au moment où le
silence complet se fait dans l’espace. Outre cette altération de la forêt représentée,
révélatrice de l’inquiétude actuelle sur la fragilité de la nature, c’est aussi une
altération de l’image, un effaçage par la lumière. Dans cette image brûlée, voilée
et déformée, ne se joue-t-il pas ce que Christine Buci-Glucksmann appelle une
“esthétique de l’éphémère”. »
Simone Dompeyre
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