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Cinéma ABC  Projections

ce que me racontaient son corps et ses expressions. À partir de ce match se déployait
un univers que j’avais envie d’explorer.

Quelles images avez-vous utilisées ?
J’ai emprunté les images du match Freeman/Fulton, un film de vacances trouvé sur
Internet, une captation de soirée gabber – musique que j’affectionne beaucoup pour
son côté primitif et efficace – et des images pornographiques amateurs. L’idée était
d’expérimenter à la fois une esthétique du fragment mais également de donner aux
images une cohérence esthétique par la « recaptation ».

Avez-vous été à Sunderland ?
Non, je n’ai jamais été à Sunderland. Pour moi, cette ville représente l’aura de Ian
Freeman. L’idée n’était pas, du tout, de réaliser un documentaire sur ce boxeur mais
de restituer l’atmosphère qui s’en échappe, tout en laissant les images raconter ce
qu’elles avaient à dire.

Pensez-vous que la guerre soit une résultante de la violence individuelle ou au contraire sa source ?
Cette question est intéressante quoique très compliquée. Je pense qu’aujourd’hui,
les guerres sont à la source de violences individuelles car elles retirent des choses
essentielles à l’être humain. Au Moyen-Âge, il me semble que la guerre était
quelque chose de beaucoup plus protocolaire car il s’agissait d’organiser la mort,
et de la réduire à un nombre d’individus restreint qui s’opposeraient sur un terrain
défini. Elle permettait, en un sens peut-être odieux, de régler des conflits tout en
faisant rentrer ses soldats dans une postérité presque sacrée. Des conflits naissaient
des récits de vertu. Aujourd’hui, ce sens n’existe plus et d’une certaine manière,
les sports de combat ont pris le relais. Mon personnage n’est pas un soldat ; c’est
l’enfant d’un trauma. Il a grandi au contact d’un monde usé par les conflits d’où sa
perte de repères, adolescent. Dans la boxe, on retrouve l’équilibre, on produit du
récit, on se joue de la mort et on expérimente à nouveau cette part de sacré.

Pourquoi étiez-vous intéressé par la question d’évacuer la joie, la tristesse, le stress ou la colère par
l’action physique ?
Pour moi, c’était tout l’enjeu du projet. Devant ces matchs de boxe, personne ne
peut nier le degré érotique de la situation : l’exaltation des corps mais aussi l’affront
à la mort en font une célébration dionysiaque par excellence. C’est cela que je
voulais mettre au premier plan. J’avais envie de raconter l’histoire d’un homme
qu’on a réduit à l’état de corps en fonctionnement. Que lui reste-t-il ? Le désir. C’est
ce que révèle l’action physique. Il y a un deuxième aspect dans cette question : c’est
l’idée que dans le match de boxe se racontent les joies, les peines, la colère de Ian
Freeman. Si je ne racontais que le match, alors la tension n’était pas intéressante. Il

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