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Performances Prép’art
crédit photo Kaëlis Robert Comment ne pas penser au mythe de l’amour et de l’androgyne du Banquet de
Platon ? Zeus a puni les humains qui voulaient s’élever jusqu’aux dieux en les
coupant en deux. Depuis chaque moitié est en mal de son autre et cherche dans
l’amour à se réunifier avec sa moitié perdue, dans la totalité de l’amour accompli et
l’effacement de la séparation engendrée par la différence des genres.
Comment ne pas penser, aussi, à la thématique lacanienne de l’amour et du miroir
du narcissisme ?
Chacun aime l’autre partenaire de
se laisser prendre par une projection
inconsciente, celle de projeter sur lui,
de croire pouvoir saisir en cet autre, le
secret de soi qui, lui, est inaccessible et
où réside sa propre vérité. La projection
narcissique, à la fois, suscite l’amour et le
rend impossible. Plus en détails : le trouble
de l’attraction sexuelle se transmue par
cette projection inconsciente en vertige
érotique de l’amour : vertige de l’attraction
par l’autre à proportion de ce qui y est
projeté, vertige de croire inconsciemment voir transparaître en l’autre le plus secret
de soi-même, le plus intime de soi-même enfin dans sa vérité, dont le soi pour soi
est depuis toujours dépossédé. On se rappelle le triple jeu sémantique auquel se
livre Lacan en jouant avec l’homophonie de séparer : l’individu se pare d’un moi,
s’aime dans une image où il se plaît à se voir et simultanément se sépare d’une
partie de soi et de sa vérité, d’une image qui répond à la demande des parents, à ce
qu’il interprète comme leur souhait et en même temps se pare, se protège de leur
insistance. Mais en se parant de cette image, en se déguisant d’une image qui lui
plaît suffisamment pour engendrer le trouble narcissique, simultanément il se sépare
d’une partie de soi et de sa vérité. L’amour – et quel symbole en représente mieux
la collusion des genres que le baiser ? – survient quand à l’attraction sexuelle de
l’autre genre se mêle le trouble généré par l’attraction d’une projection silencieuse :
qu’en l’autre, dans le secret de son altérité, gît l’autre part de soi, depuis toujours
soustraite, l’autre partie de sa vérité.
Mais c’est bien cette projection, ce miroir du narcissisme qui à la fois intensifie le désir
et fait obstacle à l’amour (à l’amour comme amour de l’autre comme autre, dans la
vérité de son altérité), tout comme le miroir physique de cette performance sépare
les membres, si proches pourtant de l’unification qu’ils s’étaient déjà indifférenciés
quant au genre. C’est bien ce miroir qui les encage, quels que soient les tours sur
eux-mêmes que ces couples répètent inlassablement, et condamne chacun de ses
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