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Prép’art                   Installations

Amélie Berrodier, VISU(S)

14min45 | France

Toucher à distance

                    L’intrus s’introduit de force, par surprise ou par ruse, en tout cas sans droit
                    ni sans avoir été d’abord admis. Il faut qu’il y ait de l’intrus dans l’étranger,
                    sans quoi il perd de son étrangeté.

                                                                     Jean-Luc Nancy, L’Intrus, 2010

                                                  Les films, les photographies et les
                                                  installations d’Amélie Berrodier touchent
                                                  à une zone sensible, celle de l’espace
                                                  privé, de la famille, de l’intime. L’artiste
                                                  réalise des portraits comme Marguerite
                                                  Duras a su les formuler par les mots  :
                                                  derrière son appareil, elle regarde avec
                                                  soin, tout en trouvant un équilibre entre
                                                  l’empathie et la distance. Elle prend
                                                  le temps nécessaire. Elle analyse le
langage, celui des mots, celui des corps, mais aussi celui du silence et de la simple
présence. Le plus souvent, tout se joue dans un échange de regards. L’artiste attend
un moment précis, celui durant lequel la personne filmée ou photographiée va
cesser de contrôler son apparence, son comportement, son image. Un moment de
léger basculement, entre le contrôle et le lâcher pris  ; un moment de confiance,
de relâchement et de détachement par rapport à une situation anormale. Depuis
quelques années, Amélie Berrodier pense des protocoles artistiques, des dispositifs
filmiques, des prétextes pour rencontrer des individus (intimes et/ou anonymes),
pour mettre en œuvre leur portrait. Ainsi, elle se poste devant les portes-cochères,
envoie des lettres, filme les membres de sa famille ou entre directement chez des
inconnus. Pour la réalisation de ses derniers projets, elle fait littéralement du porte-
à-porte pour entrer dans les maisons et les appartements d’individus qu’elle ne
connaît pas. Elle demande à réaliser un portrait, elle dispose son appareil et filme
dans la foulée de la rencontre. Celle-ci se produit dans un espace-temps étrange où
l’artiste et son appareil apparaissent tels des intrus dans l’espace privé de celui ou
celle qui devient leur sujet. La rencontre engendre une situation cinématographique
formée d’un décor, de l’artiste, de l’appareil, du sujet filmé et du spectateur.
Amélie Berrodier favorise les relations troublantes entre la machine et le sujet
observé, entre le sujet et le regardeur, entre l’artiste et son sujet, entre la présence
et l’absence, entre l’attention et le voyeurisme, entre le documentaire et la fiction
(Portraits Filmés, 2016). Face à l’appareil, un reflex, la personne ne sait pas s’il s’agit

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